Le gouvernement alg�rien a-t-il tort de faire du keyn�sianisme ? Un certain nombre d'internautes m�ont demand� par courriel, cette semaine, ce que je pouvais penser de la contribution de l�ancien ministre de l�Economie parue dans El Watan des 19 et 20 janvier 2009 sous l�intitul� �Keynes est mort !�. �Ayant d�fendu vous-m�me dans plusieurs de vos chroniques les plans de relance mis en �uvre par le gouvernement dans notre pays et qui se basent, je crois, sur la demande, que pouvez-vous r�pondre � l�id�e selon laquelle �les politiques keyn�siennes ne sont pas pertinentes pour l�Alg�rie ?�, m�a �crit un certain Adel Dja�der de B�ja�a. Ou bien encore cet internaute de Tiaret qui signe �Ancien DG d�une entreprise publique� et qui m�interpelle : �M. Bouzidi, fallait-il ou pas �laborer et mettre en �uvre des plans de relance qui ont co�t� des dizaines de milliards de dollars au Tr�sor public ? Ne fallait-il pas proc�der autrement et commencer d�abord par aider et dans un contexte national bien pauvre retaper nos entreprises ? Je suis ainsi invit� indirectement � d�battre d�un sujet int�ressant, faut-il le reconna�tre, en �change d�id�es et de points de vue. Je le fais en esp�rant que d�autres �conomistes alg�riens enrichiront la discussion par d�autres contributions. J�avoue que je n�ai pas lu, en son temps, la contribution du ministre et j�ai d� recourir aux archives du quotidien El Watan pour en prendre connaissance. Sans revenir aux d�bats th�oriques acad�miques qui, bien qu�utiles, risquent de ne pas int�resser nos lecteurs, j�aimerais rappeler d�abord que j�ai trouv� pour le moins �tonnant de lire une r�flexion d�un ex-ministre ayant appartenu � un gouvernement qui a con�u et mis en �uvre d�importants programmes de relance par la demande, qui porte une critique aussi forte du keyn�sianisme. J�ai d�ailleurs entendu r�cemment de la bouche d�un autre ministre qui, lui, est encore aux affaires et qui est cens� appliquer pr�cis�ment la politique �conomique keyn�sienne actuellement en �uvre dans notre pays, la m�me phrase : �Keynes est mort !� Mais, plus s�rieusement, examinons de plus pr�s les arguments selon lesquels Keynes serait mort pour l�Alg�rie, arguments qui, d�cid�ment, ont la peau dure puisque d�autres �conomistes alg�riens les soutiennent. Le principal argument est le suivant : compte tenu de l�insuffisance de l�offre alg�rienne, injecter des ressources pour stimuler la demande n�aura aucun effet positif sur la croissance �conomique interne pour la raison simple que le multiplicateur jouera � l�ext�rieur et que la demande sera satisfaite par le recours aux importations. Le ministre �crit dans sa contribution : �La relance par la demande interne profite aux entreprises dont l�offre est importante et diversifi�e (...) contrairement � ce qui se passe en Alg�rie.� Cette remarque est juste mais en partie seulement car, en �conomie ouverte, il ne suffit pas que l�offre soit importante et diversifi�e, il faut surtout qu�elle soit comp�titive. La remarque vaut bien s�r pour les pays capitalistes d�velopp�s qui sont aujourd�hui sous th�rapie keynesienne. Et l�hypoth�se de Keynes n�est-elle pas que nous sommes en �conomie ferm�e, qu�il existe dans le pays des capacit�s oisives, et pour faire simple, que la demande est insuffisante. Et en Alg�rie, les capacit�s oisives sont bien l� puisque l�outil de production national tourne � un taux d�utilisation des capacit�s install�es de 40% en moyenne et le taux de ch�mage avoisine les 16%. L�offre est donc l� mais ne trouve pas de d�bouch�s. Et si la demande relanc�e par la d�pense publique pr�f�re l�offre ext�rieure, Keynes n�y est pour rien ! Probablement que les importations sont plus �juteuses� pour ceux qui les pr�f�rent � la production nationale, surtout lorsque ces importations ne sont ni de meilleure qualit�, ni � des prix comp�titifs par rapport � la production nationale. Est-ce que les plans de relance ont consolid� la croissance �conomique interne ? La r�ponse est oui. Entre 2001 et 2007, p�riode couverte par les plans de relance, la croissance �conomiques hors hydrocarbures a �t� de + 5,7% en moyenne annuelle (contre 3,2% en moyenne annuelle entre 1995 et 2000) et ce, malgr� une croissance n�gative des industries manufacturi�res publiques de -2% par an sur la p�riode. Cette d�croissance est un indice qui montre les m�faits de l�ouverture tous azimuts qui contraint nos usines � l�arr�t ou � la sous-utilisation de leurs capacit�s. La croissance �conomique a �t� tir�e principalement par les secteurs BTPH, secteurs qui ont re�u l�essentiel de la d�pense publique d�investissement et les services fouett�s par les programmes d�importations (transports ...) euxm�mes b�n�ficiant des programmes de relance. L�ancien ministre de l�Economie reconna�t d�ailleurs lui-m�me ( El Watan du 12.1.2009 page 10) que �la d�pense publique (...) est le moteur principal de la croissance des secteurs de la construction et des services et joue aussi un r�le important dans l��quipement et la croissance de l�agriculture. Dans le secteur de la construction, c�est la commande publique qui d�termine, pour l�essentiel, la croissance des entreprises (...) Tout freinage de la d�pense publique peut entra�ner une baisse d�activit� et des emplois offerts. C�est probablement le seul aspect keyn�sien de la politique publique auquel il faut �tre attentif�. Mais pour le sujet qui nous occupe, il n�y en a pas d�autre ! (A. B.). Pourquoi apr�s ce constat juste, le ministre s�obstine-t-il � souligner �l�impertinence des politiques keyn�siennes en Alg�rie� ? Mieux encore, le ministre �crit plus loin : �Les impacts budg�taires et financiers de la crise en Alg�rie sont ma�tris�s dans les court et moyen terme (...), le financement des grands projets d��quipement (...) est assur� pour le moyen terme.� Il nous rassure et encourage le gouvernement � poursuivre dans la relance par le budget! Les plans de relance keyn�siens ont donc fonctionn� m�me s�ils auraient pu avoir un impact plus fort sur l�offre interne. Le probl�me est donc moins un probl�me de non-pertinence des politiques keyn�siennes que de meilleur encadrement des importations et d'encouragement de la �pr�f�rence nationale�. Aussi bien les entrepreneurs publics que priv�s alg�riens ne font que r�p�ter cela depuis une d�cennie ! SNVI, ENMTP, ENIE, ENIEM, etc. toutes ces entreprises publiques ont des capacit�s �normes inutilis�es et des stocks de produits finis au moment o� l�Etat permet des importations massives des m�mes produits. Rappelons-nous aussi la campagne lanc�e par le Forum des chefs d�entreprises sur le th�me �Consommons national� pour essayer de pr�server les unit�s de production nationales menac�es par la concurrence d�loyale du secteur informel et l�ouverture commerciale d�brid�e et tous azimuts. O� est le tort de Keynes dans tout cela ?! Ceci �tant rappel�, il faut analyser le keynesianisme pour ce qu�il est et seulement pour ce qu�il est des fondements analytiques � une politique �conomique conjoncturelle (pro-cyclique) de court terme (�� long terme nous serons tous morts�, disait Keynes). En situation de sous-emploi, des facteurs de production, nous dit Keynes, (et en Alg�rie il y a bien situation de sous-emploi avec un important ch�mage et des faibles taux d�utilisation des capacit�s de production install�es), les d�penses publiques peuvent suppl�er la faiblesse de la demande priv�e. De plus, en Alg�rie, une politique budg�taire expansionniste n�a pas d�effet d��viction puisque les banques sont surliquides et l��pargne publique est importante. Il faut noter d�autre part, que la th�orie de la croissance endog�ne (Solow, Barro, Romer, Eucas), nous apprend que les d�penses publiques ont un effet b�n�fique sur la croissance �conomique � long terme : infrastructures (routes, ports, a�roports, chemins de fer ainsi que TIC...), �ducation-formation. Les plans d��quipement financ�s par la d�pense publique servent donc la croissance �conomique � long terme. Mais pour revenir � Keynes et la politique �conomique alg�rienne de cette d�cennie 2000, les plans de relance I et II, le PNDAR, les plans de d�veloppement des r�gions du Sud, les augmentations de salaire constituent des choix pertinents et, malgr� les d�perditions et les fuites occasionn�es du fait d�une mauvaise gouvernance, ont eu un impact positif sur la croissance �conomique interne. Il faut toutefois souligner que ces plans de relance ont atteint aujourd�hui leurs limites et qu�il va falloir � pr�sent passer aux politiques structurelles qui inscrivent la croissance dans la dur�e. Parmi ces politiques structurelles, il y a urgence en Alg�rie � d�velopper des politiques d�offre qui mettent l�entreprise au c�ur des pr�occupations. Nous avons d�j� eu l�occasion d�insister sur ces nouvelles politiques �conomiques � mettre en �uvre. Rappelons seulement qu�il s�agit de lever les rigidit�s syst�miques qui caract�risent notre �conomie et qui plombent la performance et la comp�titivit� de nos entreprises. Une politique de l�offre exige des r�formes �conomiques et, pour qu�elle ne reste pas seulement lib�rale, doit �tre accompagn�e de politiques sociales de protection et de redistribution juste entre capital et travail. Le march� du travail doit �tre fluidifi�, la fiscalit� et autres charges obligatoires qui p�sent sur l�entreprise doivent �tre all�g�es, la politique du cr�dit assouplie, la mise � niveau des entreprises accompagn�e par l�Etat, la concurrence d�loyale du secteur informel combattue, l�innovation encourag�e par des aides du budget. Dans le m�me temps, et parce que la politique de l�offre est fondamentalement lib�rale, l�Etat doit poursuivre son r�le de protecteur social et son effort d�investissement d��quipement du pays.