Avouons-le tout de suite : on ne lit pas les cogitations d�un officier du renseignement sur l�Alg�rie comme un roman d�amour. �Flicomanie�, suspicion, m�fiance et pr�jug�s se m�lent souvent pour nous inciter � chercher, � travers ce genre d��crits, la manipulation, le pi�ge ou, au moins, le non-dit. L�embarras, � peine voil�, d�un homme comme Abdelhamid Mehri, � pr�facer l�ouvrage de Mohamed- Chafik Mesbah, Probl�matique Alg�rie(*), r�cemment paru , rel�ve de cette l�gitime appr�hension. En diplomate avis�, Mehri prend � t�moin l�auteur et sa r�flexion, ainsi que sa capacit� de �prospection et de d�bats�, pour souligner �in�luctablement, ce constat d��vidence : la n�cessit� imp�rieuse du changement du syst�me de gouvernance actuel par une voie authentiquement d�mocratique�. Le syst�me lui semble arriv� au terme de ses contradictions, parce qu�il repose principalement sur l�exclusion et l�asservissement, en dehors d�autres variantes gradu�es qui participent, elles aussi, � �d�naturer l�expression des aspirations des couches populaires, v�hicul�es par des partis et des organisations qui se trouvent, de ce fait, discr�dit�s�. Probl�matique Alg�rie se compose de trois parties : une autobiographie, des �tudes ou expertises g�opolitiques et strat�giques, des articles et des correspondances de presse. Au titre des �tudes ins�r�es, il y en a une qui s�impose par sa th�matique, d�une actualit� br�lante : une �r�flexion prospective sur les sc�narios d��volution de la crise politique en Alg�rie�, dat�e du 14 mars 1995 et produite du temps o� l�auteur �tait en activit� dans les rangs de l�ANP. Dimension strat�gique, consid�rations tactiques et mode de gestion op�ratoire de la transition y sont longuement et courageusement �voqu�s. Au plan strat�gique, le traitement de la crise requiert, de l�avis de l�auteur, des �rep�res� incontournables : �Le principe de l�alternance avec comme corollaire le changement de r�gime, le rejet des formules de substitution au mod�le d�mocratique, le dimensionnement de �l�utopie islamiste� dans le contexte d�un mouvement de contestation sociale, la clarification de la position des forces arm�es, le positionnement international de la crise alg�rienne.� Pour M.-C. Mesbah, �les am�nagements institutionnels introduits dans la Constitution amend�e � l�issue des manifestations populaires de 1988, avaient pour objectif majeur d�assurer la survie du r�gime, en aucune mani�re de favoriser l�alternance, au sens de la substitution d�un r�gime � un autre�. A l��poque, �le Commandement militaire n�avait pas pris la mesure de l�usure quasi naturelle du r�gime, consid�rait que des am�nagements mineurs ainsi que de meilleures performances �conomiques pouvaient d�nouer la crise. De m�me que la d�marche du Haut Comit� d�Etat, qui a succ�d� � la d�mission de Chadli, avait �t� largement inspir�e par �l�imp�ritie intellectuelle, l�improvisation politique et la motivation �go�ste�. L�auteur reproche ici � son Commandement militaire de s��tre �laiss� enfermer dans une logique presque infantile de pr�servation de l�ordre institutionnel, jusqu�� en faire une fin en soi et arriver m�me � cultiver l�ambigu�t� entre le terrorisme � ph�nom�ne pathologique conjoncturel � et le courant islamiste, donn�e sociologique objective et p�renne�. Ce faisant, il rejoint le regret majeur exprim� par Mehri � l�endroit des �parties qui pr�sident � la rationalisation du champ politique �. Ces �parties� ont trait� � l�identique emp�chant �de se mouvoir dans une interaction naturelle avec la soci�t� dont ils exprimeraient le mouvement. Cette obstruction s�est faite soit � travers l�exclusion (s�agissant du FIS dissous), soit � travers l�endiguement (s�agissant du FLN)�. En dehors des courants islamique et nationaliste (incarn�s par le FIS dissous et le FLN), il n�y a d�autre v�ritable acteur que le FFS. Aussi froid et d�solant soit-il, le constat est chirurgical. Ainsi, M.-C. Mesbah n�h�site pas � �crire, au risque de se faire quelques ennemis. Ceux qui, tapis dans leurs salons douillets, attendent que l�arm�e les porte au pouvoir sur les tourelles d�un char en ont pour leur grade. �Je vais, sans doute, enfoncer une porte ouverte, mais je rappelle que toute d�marche politique s�appuie, d�abord, sur un travail acharn� de mobilisation de la population. Il n�existe pas de substitut � ce travail organique, laborieux mais indispensable. Il faut payer de sa personne et accepter les risques de l�emprisonnement ou du moins du harc�lement, c�est certain. C�est ainsi que naissent les r�volutions, il n�y a pas de secret.� De ces malheureux amalgames de tous poils, M. Chafik Mesbah retient que le FLN reste �un parti d�avenir� et l�ANP �une �cole de patriotisme�, alors que le FIS dissous �a dispos�, � son apog�e, d�une capacit� r�elle pour pouvoir mobiliser la soci�t�, mais qu�il n�a pas su proposer de projet fondateur �. De cette douloureuse parenth�se, il tire trois le�ons : �L�avenir de l�Alg�rie n�est pas � construire sur les d�combres de l�islam (�). L�avenir d�mocratique de l�Alg�rie ne se construira pas sur les d�combres de l�institution militaire (�). Le redressement de l�Alg�rie est tributaire de la r�habilitation de l��lite nationale et de sa mobilisation au profit des t�ches d�int�r�t strat�gique.� Une autre alternative �tait donc possible (et souhait�e par M. Chafik Mesbah). �Il eut fallu, en effet, que les chefs militaires eussent pris conscience, de mani�re raisonn�e, pas seulement intuitive, qu�il fallait tourner la page du syst�me en place.� L�auteur �voque une forme �d�ing�nuit� du Commandement militaire�, consid�rant que pour affronter la crise, ces chefs militaires �taient �arm�s d�un patriotisme intuitif, sans cette capacit� d�anticiper le futur gr�ce � l�acc�s raisonn� � la logique des ph�nom�nes historiques, politiques et �conomiques.� L�autre �tude qui m�rite une lecture attentive porte sur �le point de vue am�ricain sur l��tat de la crise alg�rienne et ses perspectives de d�nouement�. Les Am�ricains d�veloppent ici le point de vue particulier consid�rant, contrairement aux pays occidentaux, que �la l�gitimit� en Alg�rie s�acqu�rait apr�s coup, qu�elle n��tait pas un pr�alable mais un r�sultat�. Il en d�duit qu�aux yeux des Am�ricains, ce qui importe le plus, c�est la construction d�un Etat alg�rien, � partir de normes compatibles avec les exigences d�efficacit�, dans le contexte mondial�, un Etat �d�sencombr� du d�bat identitaire, mais en charge des activit�s de construction d�un espace public, de stimulation de la croissance, l�inflexion de la d�mographie et de mise en place d�un syst�me �ducatif alternatif�. Il s�ensuit l�espoir que l�Alg�rie s�inspire du mod�le des �Etats strat�ges, Etats dont les objectifs limit�s condensent tous les enjeux. C�est l�option id�ale, parce que le couloir de sortie de la crise, d�j� restreint, subit la pression de la contrainte vitale du temps. Ce qui doit �tre r�gl� � un certain horizon doit l��tre � ce moment-l�, car s�il est remis � plus tard, son co�t sera plus important et la solution pr�conis�e pourrait m�me ne plus �tre alors compatible �. L�auteur conclut que �l�Alg�rie serait inclassable par rapport aux int�r�ts am�ricains : ni un pays alli�, ni un pays ennemi ; un statut qui ne permet de miser sur l�Alg�rie ni comme alli� ni comme ennemi�. A. B. (*) Mohamed-Chafik Mesbah, Probl�matique Alg�rie, pr�face de Abdelhamid Mehri, Alger 2009, 542 pages.