Thomas Bosch est un jeune cadre dirigeant du SPD, le parti social-d�mocrate allemand. Il fait partie du staff de campagne du candidat malheureux aux r�centes �lections au Bundestag allemand, Frank-Walter Steinmeier, contre la chanceli�re sortante, Angela Merkel, qui roulait pour la CDU (les chr�tiens d�mocrates). A l�image des autres membres du SPD, il affiche spontan�ment son amertume. - Katastrophe ! �Catastrophe�, semble �tre le ma�tre-mot de tous ses autres camarades. Comment explique-t-il ce qu�il qualifie de �r�sultat amer et douloureux m�me s�il est trop t�t pour �mettre des conclusions d�expert� ? A cette question, discipline oblige, Thomas Bosch ne fait que reprendre le commentaire de Frank-Walter Steinmeier suite � la publication des r�sultats pr�liminaires du 27 septembre dernier : �C'est un jour amer pour la social-d�mocratie allemande, il n'y a aucun moyen de pr�senter favorablement ce r�sultat� avait-il courageusement admis. Il faut dire qu�en 146 ans d�existence, le plus grand parti social-d�mocrate du monde vient de subir l�une de ses d�faites les plus cuisantes, son plus mauvais r�sultat depuis l'instauration de la R�publique f�d�rale, avec un score humiliant de 23,5 %, contre 31,2 pour la CDU (les chr�tiens-d�mocrates), 12,2 % pour Die Linke (au sens litt�ral : �la gauche�) et 10,9 % pour les Verts. Le SPD enregistre ainsi une chute vertigineuse de plus de onze points qui correspond � une perte de plus de dix millions d'�lecteurs depuis les �lections f�d�rales allemandes de 1998, qui avaient vu la victoire triomphale de Gerhard Schr�der, le chancelier allemand qui a refus� l�occupation de l�Irak, contre l�avis majoritaire de son opinion publique. Cette d�saffection de l��lectorat co�ncide avec une baisse du militantisme de gauche : en ao�t dernier, le SPD ne comptait plus que 512 000 adh�rents 17, contre 800 000 en 1998 et plus d�un million dans les ann�es 1970 � la �grande �poque�, celle de Willy Brandt et Helmut Schmidt. Pourtant, Frank-Walter Steinmeier, le candidat du SPD ne manque pas de charisme, comparativement � sa rivale de la CDU. Bien au contraire. C�est paradoxalement l� o� on l�attendait le moins � la personnalit� de Merkel � que la CDU a trouv� le bon filon de sa campagne. �La chanceli�re est plut�t lisse, elle manque de consistance politique, elle est quelconque�, disent les d�tracteurs de Merkel. C�est pr�cis�ment ce que cherchait la CDU : �L��lecteur moyen se reconna�t ais�ment en elle. Elle appara�t comme la �chanceli�re de tous les Allemands.� Sur le terrain de la personnalit�, Steinmeier est plus charismatique (il faut dire que le plus ancien des partis allemands, fond� en 1875, a souvent confi� son destin � des leaders d�envergure : Liebknecht, Bebel, Ollenhauer, et surtout Willy Brandt), il est issu d�un village de l�Ouest, avec un parcours mod�le de quelqu�un qui a gagn� son argent de poche � la sueur de son front et connu tous les mouvements sociaux de son temps, y compris les hippies. Il a derri�re lui un parcours politique parfait qui se termine avec le poste de ministre des Affaires �trang�res de la troisi�me puissance mondiale et, fait rarement soulign�, d�ancien et proche collaborateur de l�ex-chancelier social d�mocrate Gerhard Schr�der (le parfait profil du gagnant). La comparaison s�arr�te l�, dans un pays o� tous les coups ne sont pas permis pour vaincre et o� le respect de l�adversaire est sacr�. On n�a jamais vu les sociaux-d�mocrates dire ou insinuer (et on ne les verra jamais le faire) que la chanceli�re Merkel est une femme de l�Est, qu�elle est issue d�une minorit�, qu�elle a peur des chiens, qu�elle ne peut pas descendre les escaliers, ni qu�elle est catholique ou protestante, ni encore qu�elle a une faible personnalit� au point de �ne trancher qu�en fin de compte�. Angela Merkel a donc gagn� parce que son profil est celui de l�Allemand moyen : �Elle est proche de l��lecteur, elle lui ressemble �, confirme M. Thomas Steg, vice-porte parole du gouvernement et conseiller � l�information au SPD. La CDU y a trouv� l� un moyen de gagner � moindres frais : �La campagne ressemble � un combat de boxe o� l�adversaire (la CDU en l�occurrence) refuse le combat et l�engagement, se contentant d�esquiver et d��viter les coups�, rel�ve M. Bosch. Les jeunes experts du SPD ont men� une campagne en trois temps. Les th�mes de campagne d�velopp�s dans un premier moment touchent au nucl�aire et � l��nergie propre, l�emploi, la sant�, la solidarit� entre g�n�rations, l��ducation et la formation. On retrouve �galement les th�mes sociaux de pr�dilection du SPD dans une seconde �tape consacr�e au travail et aux retraites. Ce n�est que dans une troisi�me et ultime phase que le candidat SPD est cibl� et mis en avant seul, mais �sans cravate� pour faire �plus proche des gens�. Outres les vecteurs classiques de campagne (affiches, spots t�l�, tracts et brochures), le SPD a eu largement recours au num�rique et � l�interactivit�. Sur Internet, l�accent a �t� mis sur les forums, les discussions et les �changes, au d�triment des textes fleuves. �Sur le net, le travail de proximit� a �t� �puisant. Celui qui pose une question attend qu�on lui r�ponde dans les vingt-quatre heures�. Et les jeunes du SPD le faisaient. Mais la modernit� et le num�rique n�excluent pas le contact direct du candidat qui a soutenu pas moins de cent manifestations publiques au cours des trente derniers jours. En attendant une analyse approfondie de leur d�faite, les sociaux-d�mocrates allemands semblent donner une importance d�mesur�e aux m�dias dans les comp�titions �lectorales. Leurs experts �taient sur les pas des conseillers d�Obama pendant sa campagne et une place de choix revient aujourd�hui aux Spin Doctors dans les cercles d�intellectuels allemands. Jurgen Hogrefe, journaliste et consultant, trouve par exemple que des hommes politiques comme G. W. Bush et Tony Bair sont des �personnages fictifs cr��s de toutes pi�ces� Karl Rove surnomm� son �baby geniu� pour le premier et Alastair Campbell pour le second, et que les consultants en communication et relations publiques valent leur pesant d�or aujourd�hui dans les comp�titions �lectorales. Cette fonction qu�on peut faire remonter aux ann�es 1930 n�a �t� popularis�e qu�� partir de 1984 � l�occasion du d�bat Ronald Reagan-Walter Mondale. Le mot anglais signifie donner un �effet�. Thomas Steg est plus r�serv� et nuanc� � l�endroit des Spin Doctors. Contrairement � la sc�ne politique am�ricaine, o� la confrontation est s�v�re sans qu�il y ait de relation directe des candidats, les hommes politiques allemands ont un contact direct et personnel avec les journalistes. Aujourd�hui, 70 % des citoyens allemands trouvent que la t�l�vision constitue leur premier moyen d�information. Les journaux, qui affichent des tirages de l�ordre de 400 � 450 000 exemplaires, sont en nette r�gression. Le tr�s populaire Bildn��chappe pas � l�h�catombe que semble avoir occasionn� Internet pour la presse �crite. Avec 3,3 millions d�exemplaires vendus (pour 11 � douze millions de lecteurs), il a pratiquement perdu pr�s d�un million de lecteurs depuis 2002. L�av�nement d�Internet n�explique pas tout et les professionnels y ajoutent une �confusion entre la presse et le marketing consistant � vendre le plus grand nombre d�exemplaires�. Thomas Steg souligne comme �insuffisance� du dernier scrutin, un taux de participation l�g�rement inf�rieur � 70 % et le d�plore : �Cela signifie que 30 % des citoyens ne votent pas et que le principal parti est celui des absent�istes�. Un parti qui recrute parmi les plus bas revenus, ceux qui ne voient la t�l� que pour les films ou ceux qui ont un niveau d��ducation assez bas. Le changement est qualifi� de �dramatique car de moins en moins de citoyens acc�dent aux milliers d�informations produites �. Devant ce recul de la participation politique et le regain d�absent�isme, conjugu� au recul de la cr�dibilit� des grands moyens d�information, les Spin Doctors passent pour des hommes de l�ombre, des charlatans, de manipulateurs : �Le Spin Doctor qui a travaill� pour Tony Blair, Alastair Campbell, a �t� qualifi� de �Prince des t�n�bres�, nous rappelle Thomas Steg. Historiquement parlant, les derni�res �lections ont eu lieu pendant la grande coalition noire(CDU)-rouge (SPD) qui succ�de � une alliance verte (�cologistes) � rouge (SPD) et qui ouvre sur une coalition noire (CDU) � jaune (lib�raux). Il est certain que la cohabitation avec la CDU a fait perdre de l�espace � gauche au SPD (au profit de Die Linke), alors que ses propositions sociales paraissaient d�pass�es ou inutiles � l�heure du retour en force de la r�gulation et de l�Etat dans les discours et les programmes de la droite. En d�pit de son amertume, M. Bosch n�a pas peur pour l�avenir du SPD. Ce qui lui arrive, il y voit une expression d�un ph�nom�ne de balancier, de flux et de reflux. �Le SPD passe dans l�opposition pour resserrer les rangs et repartir � l�offensive �. On voudrait tant partager son optimisme.