Ils sont devenus fous ! C'est la r�flexion qui me venait � l'esprit chaque fois que je suivais sur les �crans de t�l�vision la messe quotidienne qui a suivi le match du 18 novembre � Khartoum. Des r�actions haineuses, disproportionn�es par rapport � la r�alit� des faits, outranciers et quasi irr�els dans la bouche de personnalit�s dont nous ignorions la v�ritable nature. Ainsi, tous ces gens qui vocif�rent et exhalent sans retenue leurs ranc�urs portaient un masque, celui de leurs feuilletons, des discours de circonstance et des mondanit�s. Nous n'avons jamais cru � ces sornettes et slogans d�magogiques, � ces v�ux pieux, syst�matiquement suivis de l'�pith�te �arabes�. On les acceptait, cependant, on s'en accommodait parce que le �r�ve arabe� de nos chercheurs d'identit� avait un visage et une voix. Ceux qui aidaient � avaler la pilule am�re s'appelaient, tant�t Gamal Abdennasser, tant�t Adelhalim Hafez ou Cheikh Imam. C'�tait notre consolation, en d�pit du fait que le choix du mod�le �gyptien n'�tait pas le n�tre et que la d�cision avait �t� prise � notre insu. Ces Egyptiens, on les aimait bien au fond, malgr� leur condescendance certaine, et un certain d�dain pour nos tentatives de leur ressembler. Car on les suivait in�vitablement en tout, faute de faire autrement, m�me si nos p�les imitations hypoth�quaient davantage nos chances de d�collage. On les enviait m�me, au fond, et malgr� son appauvrissement mat�riel, l'Egypte avait une vie et une richesse culturelles que nous �tions loin d'�galer. Tout cela est, semble-t-il, derri�re nous puisqu'une simple rencontre de football en a d�cid� autrement. En moins d'une semaine, les sourires se sont chang�s en rictus et Yusra, la beaut� rayonnante du cin�ma �gyptien, s'est transform�e en furie. Nous y reviendrons, mais voyons d'abord les faits : durant les trois jours qui ont suivi la rencontre d�cisive de Khartoum, les m�dias �gyptiens se sont d�cha�n�s contre l'Alg�rie. Il ne s'agissait plus de football et de Coupe du monde, mais d'un d�cha�nement de col�re et de surench�re nationaliste inattendu et affligeant. Une r�action qui ne peut s'expliquer que par la somme de chauvinisme et d'orgueil national investie dans cette affaire. Le confr�re qui a r�sum� la confrontation � un match entre Bouteflika et Moubarak avait raison. Il faut ajouter simplement le fait que le pr�sident �gyptien n'a pas encore r�solu le probl�me de sa succession, contrairement � son adversaire (1). C'est dans ce match que se jouait, en effet, le passage de l'�re Hosni Moubarak-p�re � l'�re de Djamal Moubarak le fils, h�ritier pr�somptif du tr�ne. C'est sans doute pour cela que le clan Moubarak s'est mobilis� et a envoy� Ala, le fils a�n�, � Khartoum, � la t�te d'un commando familial. Outre Ala, et des membres de la famille, il y avait aussi des artistes �gyptiens plus ou moins connus, ou en qu�te de publicit� � moindre frais. C'est ce commando familial et ces artistes suppl�tifs qui ont lanc� la premi�re salve contre l'Alg�rie, � peine arriv�s au Caire. C'est ainsi que tous ces gens, dans un bel ensemble, nous ont rejou� la c�l�bre pi�ce �gyptienne Un t�moin qui n'a rien vu. Ala et son groupe familial qui ont quitt� subrepticement le stade, avant tous les autres supporters �gyptiens, ont �gal� voire surpass� les com�diens professionnels sur ce registre. Ala a confirm� tout le mal qu'il pensait de nous, et en des termes qui ne pr�tent pas � �quivoque, et il a ajout�, dans un �clair de lucidit� : �l'Arabit�, c'est termin� !� Sans doute d�ment chapitr�s, les �rescap�s � de Khartoum et les stars du cin�ma et de la t�l�vision n'ont pas valid� la mise � mort de l'unit� arabe. Ils ont fait mieux en excluant les Alg�riens de cette sph�re ethnoculturelle. �Les Alg�riens ne sont pas des "Arabes", ils n'en ont pas la noblesse, les vertus. Ce sont des barbares (2)�, s'est �cri�e la pr�sentatrice vedette de la t�l�vision, Mona Chadli. C'est donc, l'Egypte, �m�re du monde� et fer de lance de l'unit� arabe, qui a d�cid�, par la voix de ses artistes et de ses hommes politiques, de nous exclure du projet arabe (3). Et la sentence me para�t sans appel, puisqu'elle a �t� confirm�e par l'actrice Yusra et par l'acteur Izet Abou Ouf. Yusra, mon idole �gyptienne, n'a pas utilis� de termes injurieux en parlant de l'Alg�rie, mais elle en a tellement dit sur la grandeur de l'Egypte que l'Alg�rie en �tait forc�ment rabaiss�e. Izet Abou Ouf, l'acteur le plus en vue de l'Immeuble Yacoubian, est all�, lui aussi, de son exercice de dithyrambe nationaliste. En tant que pr�sident du 33e Festival international du cin�ma du Caire(4), il a outrepass� d'ailleurs son r�le en faisant acclamer la �grandeur� de l'Egypte par une salle en d�lire. Quant � la cha�ne satellite Almasria (ESC), elle n'a cess� de harponner les artistes �gyptiens pour leur faire dire des insanit�s sur l'Alg�rie. Il faut noter, � cet �gard, la r�action sereine du ministre de la Culture �gyptien, Farouk Hosni, qui a refus� de donner son commentaire sur la rencontre Alg�rie-Egypte. Il a affirm� que le festival du Caire �tait un festival de cin�ma et qu'il ne devait pas se m�ler de politique. Un v�u pieux pour une catastrophe d�j� consomm�e. On peut se demander, toutefois, quelle aurait �t� notre r�action si l'Egypte s'�tait qualifi�e � notre place. D'ores et d�j�, nos m�dias devraient s'abstenir de recourir aux m�mes proc�d�s que les Egyptiens, sauf � vouloir prouver que nous sommes plus �Arabes� qu'eux, au sens n�gatif du terme. Or, j'ai relev� �� et l� des expressions aussi m�prisantes, sinon plus, que celles utilis�es par le camp des vaincus. On peut critiquer, voire �reinter l'�crivain et animateur de t�l�vision Brahim Hedjazi, pour ses propos revanchards et haineux. A-t-on le droit pour autant de noter perfidement que l'int�ress� est mari� � une Egyptienne copte, d'origine juive ? En parlant des artistes envoy�s pour supporter les Pharaons, peut-on s'autoriser � dire que les Egyptiens ont envoy� au stade de Khartoum des danseuses qui ne sont m�me pas bonnes � marier. Cela �tant, ne boudons pas notre plaisir et n'imitons pas nos adversaires, en football, en nous barricadant derri�re nos portes d�j� verrouill�es. Et, surtout, cessons de convoquer la divine providence � tout bout de champ et � toute mi-temps dans nos confrontations sportives. Dieu a d�j� suffisamment � faire avec tous les drames et toutes les guerres sanglantes qui �claboussent la paix du monde. A. H. (1) Il a �t� quand m�me question d'un quatri�me mandat lors de la r�ception des vainqueurs de l'Egypte par le �vainqueur supr�me�. Ce qui lui donne plusieurs ann�es d'avance sur Moubarak. (2) On ne sait pas encore si Mona voulait dire barbares ou Berb�res, mais on lui accorde le b�n�fice du doute. (3) L'inimitable Othmane Sa�di devra se r�signer. C'est lui qui �crivait la semaine derni�re dans un journal arabe que la crise entre les deux pays �tait l'�uvre des francophones d'Alger et des �sionistes � du Caire. Hol�, M. Sa�di, depuis quand Ennahar, Echourouk et Al-Khabar sontils des journaux francophones ? (4) Il serait int�ressant de conna�tre les impressions du r�alisateur Belkacem Hadjadj qui �tait membre du jury du festival, en particulier sur l'attitude des responsables �gyptiens du festival.