Que peuvent les Etats et les r�gulateurs contre les banques, les traders, les agences de notation et autres ic�nes du capitalisme financier, malgr� le montant colossal de l�argent public inject� pour leur sauvetage (182 milliards de dollars en France, 669 en Allemagne, 1 476 milliards en Grande- Bretagne, 2 683 milliards aux Etats-Unis) ? Aux lendemains imm�diats de la crise, les banques fonctionnent comme si rien de particulier ne s��tait produit. Pourtant, c�est bien leur syst�me de r�mun�ration qui a pouss� � la prise de risque au-del� du bon sens, fait plonger les taux de croissance et entra�n� l��conomie r�elle dans la ruine. Qu�est-ce qui rend aveugles et impuissants les politiques contre les banques ? Une r�cente �tude du FMI (*) pointe du doigt le lobbying des institutions financi�res aux Etats-Unis comme explication de la d�faillance de la r�gulation du march� des pr�ts immobiliers avant la crise. Le lobbying est g�n�ralement d�fini comme une activit� l�gale visant � modifier les r�gles ou les politiques existantes ou de se procurer des avantages individuels ; il est une forme de recherche de rente identique � celle qui se pratique dans les pays dits sous-d�velopp�s. La recherche sur le lobbying s'est d�velopp�e en deux grands axes : les �tudes qui mettent l'accent sur la relation entre les activit�s de lobbying et les politiques sp�cifiques et celles qui visent � explorer les cons�quences de l'activit� de rente sur la formation de groupes d'int�r�ts particuliers. Les questions sp�cifiques aux services bancaires et financiers n�ont �t� que r�cemment �tudi�es pour montrer que la th�orie de l'int�r�t des groupes de lobbying peut expliquer la conception et le calendrier de la r�glementation bancaire aux Etats-Unis. L��tude du FMI s'inscrit davantage dans ce deuxi�me volet. Elle est la premi�re � examiner de mani�re empirique la relation entre les pressions exerc�es par les institutions financi�res et les pr�ts hypoth�caires dans la perspective de la crise financi�re. Elle construit un ensemble unique de donn�es combinant l'information sur les activit�s de cr�dit hypoth�caire et de lobbying de l'industrie financi�re au niveau f�d�ral. Sa conclusion est frappante : les principales institutions impliqu�es dans les exc�s des march�s des subprimes recoupent ou se confondent parfaitement avec celles-l� m�mes qui ont d�pens� le plus d'argent dans le lobbying des d�put�s am�ricains. Entre 2000 et 2006, les institutions financi�res am�ricaines ont investi entre 60 et 100 millions de dollars par an pour faire du lobbying, et la majeure partie de ces actions ont, paradoxalement, cibl� les pr�ts immobiliers et leur titrisation. �Le 31 d�cembre 2007 le Wall Street Journal rapportait que deux des plus gros pr�teurs hypoth�caires du pays consacraient respectivement 20,5 millions de dollars et 8,7 millions de dollars en contributions politiques, en activit�s de lobbying et en financement des campagnes de 2002 � 2006. Le r�sultat escompt�, selon l'article, a �t� de d�jouer toute l�gislation oppos�e aux pr�ts abusifs. En d'autres termes, l'intervention r�glementaire en temps opportun qui aurait pu att�nuer les pratiques de pr�ts irresponsables et, en cons�quence, la mont�e des d�fauts de paiement et des saisies immobili�res a �t� ferm�e par l�action ou la pression de certains pr�teurs hypoth�caires. Ces preuves anecdotiques sugg�rent que l'influence politique du secteur financier a contribu� � la crise des pr�ts hypoth�caires qui s�est g�n�ralis�e � l'automne de 2008.� D�autres �preuves anecdotiques � sont rapport�es ou simplement rappel�es : ainsi, le 6 mai 2009, The Financial Times ouvrait sa premi�re page avec le titre suivant : �Les banques am�ricaines ont d�bours� 370 millions de dollars pour lutter contre les r�gles.� L�article rapportait les donn�es d�une �tude du Center for Public Integrity relatant les efforts de lobbying pour emp�cher des r�glementations plus strictes du march� du cr�dit hypoth�caire (des subprimes). La force de frappe des institutions financi�res am�ricaines en termes de lobbying est donc �norme et les enjeux insoup�onnables parce que occultes. �Dans la derni�re d�cennie, le profit du secteur financier a constitu� environ 40 % des profits totaux de l'industrie am�ricaine alors qu'il n'avait jamais exc�d� 16 % de 1973 � 1985. Le secteur financier est engag� � pr�sent dans un lobbying forcen� pour limiter la r�glementation sur les produits d�riv�s, et sur le march� des �credit default swaps� en particulier, au c�ur de bien des strat�gies sp�culatives. Durant les neuf premiers mois 2009, les institutions financi�res ont d�pens� aux Etats-Unis 126 millions de dollars pour influencer le Congr�s�, rapportait cette semaine le quotidien parisien de l��conomie Les Echos. En retour, les g�n�reux pourvoyeurs des repr�sentants de la d�mocratie lib�rale ont r�ussi, au plus fort de la crise, � d�tourner � leur profit le meilleur des plans de relance : seize des vingt pr�teurs qui ont d�pens� le plus en mati�re de lobbying entre 2000 et 2006 ont re�u l�essentiel des fonds fournis par le gouvernement en vertu de la loi de stabilisation �conomique d'urgence, dont le Programme d'actifs en difficult� et le Housing and Economic Recovery Act. Au total, les pr�teurs qui ont fait pression sur des questions pr�cises ont re�u pr�s de 60% des fonds allou�s. Une situation qui, toujours selon l��tude du FMI, se rapproche du cas des pays en d�veloppement les moins fr�quentables en termes de corruption et o� la recherche de rente par les entreprises est le plus souvent r�alis�e gr�ce � des liens personnels avec les politiciens offrant divers avantages aux propri�taires priv�s des entreprises et se trouve mat�rialis�e par une vari�t� de canaux (un acc�s pr�f�rentiel au cr�dit, des garanties de sauvetage, l'acc�s privil�gi� � des licences, des march�s publics, etc.) L��tude du FMLI conclut : �Nos r�sultats indiquent que le lobbying est associ� ex ante � une plus grande prise de risque et ex post � une d�gradation de performance. Cela est conforme � plusieurs explications, dont une interpr�tation de l'al�a moral en vertu duquel les pr�teurs adoptent des strat�gies de pr�t � risque parce qu'ils attendent un traitement pr�f�rentiel associ� au lobbying. Un tel traitement pr�f�rentiel pourrait �tre une plus grande probabilit� d'�tre potentiellement renflou� � des conditions moins rigoureuses, en cas de crise d'ordre financier. Une autre source d'al�a moral pourrait appara�tre � plus court-terme et associ�e � l�id�e selon laquelle les pr�teurs font pression pour cr�er un environnement r�glementaire qui leur permet de tirer profit des distorsions � court terme.� L�opinion publique a vite �tabli le lien d�ordre maffieux entre les milieux financiers et les preux repr�sentants de l�ordre lib�ral : elle juge les gouvernements comme principaux responsables de la crise, avant les banques et le syst�me. C'est du moins l'avis exprim� par 30 % des personnes interrog�es par GlobeScan dans le cadre d'une r�cente enqu�te men�e dans 22 pays. �Pour l'opinion publique, les gouvernements n'ont pas agi assez t�t, alors que l'amplitude de la crise avait �t� annonc�e par de nombreux observateurs�, analyse Sam Mountford, directeur de recherche pour GlobeScan. Surprise de l��tude : si les Europ�ens sont les plus s�v�res avec leur gouvernement, ils restent moins critiques que les Am�ricains qui sont un tiers � bl�mer Washington pour le marasme actuel, devant le capitalisme (21 %) et les banques (13 %). Sans grande surprise, les Fran�ais se distinguent par leur s�v�rit� envers le syst�me �conomique dominant : 56 % d'entre eux estiment, en effet, que le capitalisme et l'�conomie de march� ne sont pas les meilleurs syst�mes �pour l'avenir du monde�. La France est ainsi la seule, avec le Japon, � compter une majorit� de sond�s pessimistes envers ces syst�mes. Ce faisceau d�indices objectifs et subjectifs serait �nonciateur de la future grande crise : la crise politique. Elle ne fait que commencer, avec ses premi�res manifestations en Islande, en Irlande, en Gr�ce et dans le Massachusetts. A. B. (*) A Fistful of Dollars : Lobbying and the Financial Crisis, par Deniz Igan, Prachi Mishra et Thierry Tressel, Working Paper n� 287, FMI, 2009.