Un livre fait un tabac en ce moment : La g�opolitique de l'�motion, de Dominique Mo�si, conseiller sp�cial � l'Institut fran�ais des relations internationales. Son premier chapitre vient d��tre publi� par le quotidien parisien Les Echos en guise de bonnes feuilles. Le livre �tablit une cartographie des trois grandes �motions qui gouvernent le monde : l�humiliation, l�espoir et la peur. L�humiliation, l�auteur la voit dominer le monde arabo-musulman. L�auteur revient sur un premier voyage qu�il a effectu� l'�t� 2000 � l'universit� Al Akhawayn, cofond�e par les rois du Maroc et d'Arabie Saoudite � Ifrane, qui consacre l'essentiel de ses enseignements au management et aux nouvelles technologies. �Les cours y sont exclusivement dispens�s en anglais, et les �tudiants n'y d�pareraient pas une universit� californienne �. Il y d�c�le chez les �tudiants arabes �un profond pessimisme quant � leur capacit� � ma�triser le futur� qu�il rattache � leurs doutes sur les perspectives politiques de leur gouvernement, leur manque de confiance ou leur h�ritage culturel et religieux. �Quelle qu'en f�t la raison, leur message �tait clair : s'ils devaient r�ussir sur la sc�ne d'un monde globalis�, ce seraient par eux-m�mes individuellement, plut�t que comme incarnations de leur pays - et le Maroc ne serait probablement pas la terre de cette r�ussite�. La seconde �motion est l�espoir. De Mumbai (Bombay) en Inde, l�auteur rapporte le sentiment contraire d�un �magnifique sens de l�optimisme�, une �nergie brute qui distille l'espoir. �Le contraste entre Mumbai la pauvre et ces jeunes gens riches du Maroc n'en est que plus violent. Les premiers, contre toute attente, voient dans la mondialisation une chance, tandis que les seconds la per�oivent comme un d�fi perdu d'avance�. Troisi�me �motion : la peur. De Londres, la capitale financi�re du monde, il garde l�image d�une ville riche et anim�e, mais n�anmoins domin�e par la peur depuis les attentats � la bombe qui l�avaient secou�e en 2005. �Humiliation � Ifrane, espoir � Mumbai, peur � Londres. Il se dessine ainsi une �carte des �motions du monde�. Ces trois �instantan�s� et les trois types �d'humeur� qu'ils r�v�lent ont plus de sens qu�il n�y para�t, selon l�auteur qui se propose d�aller au-del� du regard froid d�une caste professionnelle d�aristocrates europ�ens regardant la politique mondiale - leur domaine r�serv� - comme un jeu d'�checs. �Etats et gouvernements �taient cens�s agir rationnellement. Les �motions, coupables d'introduire un surplus d'irrationnel dans un monde dont le d�sordre �tait d�j� l'�tat naturel, �taient maintenues sous le boisseau �. Taire les �motions des hommes n�est pas un gage de paix. Depuis plusieurs g�n�rations, l'histoire fut longtemps le produit des conflits id�ologiques, puis plus r�cemment de qu�tes identitaires; �dans un monde o� les m�dias jouent le r�le d'une caisse de r�sonance et d'une loupe grossissante�, et o� �les �motions comptent plus que jamais�. Au sens large, pourtant, qu'elles soient religieuses, nationales, id�ologiques ou m�me purement personnelles, les �motions ont, bien entendu, toujours compt�. L�auteur soutient que les trois �motions primaires rencontr�es � Mumbai, � Ifrane et � Londres (l'espoir, l'humiliation et la peur) sont toutes trois intimement li�es � la notion de confiance. La confiance est vitale, tant pour les nations et les civilisations que pour les individus, car elle permet de se projeter dans le futur, de donner forme � ce dont on est capable et m�me de transcender ses talents. La confiance, qui n'est pas l'hubris (la d�mesure, l'orgueil), est l'un des ingr�dients les plus importants de la bonne sant� du monde. �On peut la mesurer de fa�on objective aussi bien que subjective. Dans le monde d'aujourd'hui o� le sport, par le relais des m�dias, est devenu l'�quivalent d'une religion s�culi�re, une victoire sur le terrain de jeu peut parfaitement, m�me un bref moment, redonner le moral � toute une population�. A ce titre, il suffit de consid�rer l'impact qu'eut la qualification de l��quipe nationale de football au Mondial 2010. �D'une fa�on objective, la confiance peut �tre cartographi�e, par ce qu'on nomme, justement, des indicateurs de confiance, mesurant scientifiquement celle d'une population en son propre avenir, et qui se traduisent de la fa�on la plus concr�te qui soit par les d�penses de celle-ci. Le niveau des investissements l'exprime �galement.� Les fuites de capitaux qui rendent exsangues nos �conomies, la baisse du taux de natalit�, ou encore, � un niveau g�opolitique, le gel du projet d�int�gration intermaghr�bin refl�tent l�angoisse et le manque de s�r�nit� croissant qui traversent la r�gion. Par une dialectique particuli�re, les trois �motions ne sont pas herm�tiques les unes aux autres : �La peur n'est jamais loin de l'espoir, et il ne faudrait pas creuser tr�s profond pour trouver, au-del� de la peur et parfois m�me de l'espoir, l'humiliation �. Ce faisant, Dominique Mo�si se r�clame de la tradition intellectuelle de Stanley Hoffmann d�Harvard et Pierre Hassner de Paris, deux disciples de Raymond Aron, qui, tous les deux, ont, avant lui, soulign� dans leurs travaux l'influence des �motions sur la g�opolitique. Dans un entretien crois� avec Christophe de Margerie, directeur g�n�ral de Total, Dominique Mo�si revient sur la n�cessit� d'int�grer la dimension passionnelle pour comprendre le monde dans lequel nous vivons. �Je suis arriv� � la conclusion qu'on trouvait aujourd'hui plus d'espoir, de confiance en soi en Asie, un sentiment d'humiliation dans le monde arabomusulman et sans doute plus de peur en Occident.� Christophe de Margerie va au-del� des �motions. Il parle de �sur-sensibilit�. �Avec souvent, au d�part, des �motions d'ordre personnel, qui font tache d'huile et se propagent � l'ensemble d'une population, v�hicul�es par les �lites et des m�dias de plus en plus pr�sents. La r�activit� des masses est alors exacerb�e, et l'�motionnel prime sur tout le reste.� C�est par rapport au regard des autres que les hommes fixent leur ligne de conduite : �C'est le point central de mon analyse. On ne peut agir sur le monde que si l'on se met dans la peau des autres. Que l'on soit chef d'Etat, grand entrepreneur ou universitaire, on doit toujours se poser la m�me question : comment raisonne l'autre, qu'est-ce qui l'anime et le fait r�agir ? C'est une question particuli�rement importante dans le monde arabe. Mais cette curiosit� suppose au pr�alable un travail sur soi. Car, si l'on ne transcende pas ses propres �motions, il est difficile de comprendre celles des autres�� Cela s�appelle respect et il est la base de tous les rapprochements entre les hommes : � Au fond, il y a deux tentations en Occident. La premi�re est un relativisme culturel absolu vis-�-vis du monde arabe : ces pays ont leurs propres r�gles, leurs propres lois et il est impossible de les comprendre� C'est � mes yeux une forme de m�pris ; et puis il y a l'exc�s inverse : une sorte d'universalisme occidental, partant de l'id�e que notre civilisation est forc�ment sup�rieure, que nos valeurs doivent �tre partag�es par tous. Entre m�pris et arrogance, comment s'�tonner du ressentiment manifest� dans les pays arabes � l'�gard de l'Occident ? Il nous faut absolument prendre conscience de ces travers si nous voulons changer notre rapport au monde arabe�� A. B. (*) Dominique Mo�si, La g�opolitique de l'�motion, Editions Flammarion, collection Champ actuel, Paris 2010. 272 pages.