«L'unité du peuple algérien sunnite est confrontée, aujourd'hui, à des idées qui nous sont complètement étrangères et à d'effrayantes thèses religieuses qui ont été, dans un passé très proche, sources de fitna et pourraient encore l'être si elles ne sont pas appréhendées avec clairvoyance». Pour les lecteurs et observateurs avertis, ce paragraphe tiré du message du chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, adressé avant-hier à l'occasion de la journée nationale du savoir est une réplique à la sortie de Mohamed Ali Ferkous, père spirituel des salafistes algériens, qui a excommunié des courants religieux de la communauté de la sunna. Le 18 mars dernier, M. Ferkous, désigné auparavant par El Madkhali, qui est la référence des salafistes et wahhabites, comme représentant de cette tariqa dans le pays, a provoqué une folle polémique en excluant tous les non-salafistes de la sunna. Un prêche qui, bien qu'il n'ait fait que reprendre un ancien avis du prédicateur saoudien Rabi El Madkhali dans le sillage du congrès mondial en août 2016 à Grozny en Tchétchénie, intitulé «Qui sont les gens de la sunna ?» et qui en a exclu le wahhabisme, a semé la discorde, entraînant les réactions de désapprobation des autorités officielles, des organisations et des partis ainsi que d'autres savants. En effet, au lendemain de la sortie d'Ali Ferkous, propulsé sur le devant de la scène, un groupe d'intellectuels a condamné ses propos, l'accusant de vouloir diviser la nation. Dans le même sillage, le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, a condamné des idées sectaires qui visent à diviser la société. «L'Etat va faire face aux idées sectaires qui tentent de diviser la société. La loi sera appliquée sur leurs auteurs et ces pratiques ne seront pas ignorées, comme cela se passait auparavant. Ces idées seront combattues avant qu'elles ne s'enracinent dans la tête de nos enfants, dans les écoles, les mosquées et les universités», a-t-il déclaré. Les vieux conflits Il s'est expliqué davantage quelques jours plus tard, en assurant que la protection des Algériens contre les divisions sectaires ne passe pas par une lutte contre un système religieux ou idéologique qui a réussi dans un autre pays. Le ministre estime que le danger intervient quand «on essaie de faire sortir cette idéologie de son pays et l'imposer à un autre», en allusion au wahhabisme qu'on a importé d'Arabie saoudite. «L'Algérie a sa référence religieuse, et l'Etat interdira tout discours qui fera douter les Algériens de leur appartenance ou qui considère que la pensée qu'il a importée est la seule à être juste». «L'Etat algérien ne va pas prendre un bâton et aller vers un autre pays pour lui demander d'éteindre sa radio afin que son discours n'influence pas les Algériens. Mais l'Etat algérien peut interdire à ses enfants de propager des idées extérieures. L'Etat peut interdire des livres, des prospectus, des disques et d'autres outils de propagande sectaires sur son territoire. C'est la loi qui va être appliquée», a-t-il expliqué. L'Association des oulémas musulmans algériens a réagi, elle aussi, aux propos du cheikh des salafistes qui est allé jusqu'à interdire toute forme de manifestation citoyenne revendicative de droits, fussent-ils légitimes et incontestables. «Grave dérive» était en effet la qualification de la sortie de M. Ferkous par Abderrezak Guessoum, président de l'Association des oulémas musulmans algériens. Le vice-président de l'organisation, le docteur Amar Talbi, est allé encore plus loin. «Le commun des musulmans actuellement ne croit qu'en Dieu, ses Livres, ses Messagers et au Jugement dernier. Il ne croit pas à autre chose. Certains restent prisonniers des vieux livres relatant la confrontation entre musulmans durant le troisième siècle et le septième siècle», a-t-il écrit dans une revue spécialisée. Selon lui, le contenu de la dernière lettre de Mohamed Ali Ferkous «vise à ressusciter les vieux conflits entre les différents courants de l'islam, dont certains ont disparu depuis des siècles. Ce conflit n'est présent que dans l'esprit de ceux qui lisent uniquement les vieux livres». Si la sortie de Ferkous a suscité autant de réactions, y compris celle de la présidence de la République, c'est que le propos est très grave. Les salafistes qui croient que tous les autres courants de l'Islam sont sur le mauvais chemin sont prêts à suivre le cheikh y compris dans les dérives. Ses jugements sont incontestables et sont relayés de mosquée en mosquée. Suite à la déferlante des réactions, M. Ferkous a tenté de se défendre, en affirmant que, comme tout homme, il pouvait se tromper. Mais loin de s'excuser, il a lancé : «J'appelle tous ceux qui relèvent des erreurs dans mon œuvre, que ce soit dans mes publications ou dans mes fetwas, de me le signifier sans susciter la polémique. Je suis prêt à les reconnaître». Il demande des preuves à ses détracteurs. Au service de l'Oncle Sam Pourtant, dans le pays d'où est exporté ce courant du wahhabisme, les choses commencent à se faire réviser. Le dessein du wahhabisme vient d'être avoué par le prince héritier Mohamed Ben Salmane qui a, dans un entretien à un journal américain, attesté que le wahhabisme a été propagé par son pays à la demande de ses alliés américains. «À l'origine, c'est à la demande de nos alliés que nous nous sommes investis dans la création d'écoles coraniques, de mosquées et dans la propagation du wahhabisme dans le monde musulman», a-t-il révélé. «Nos alliés ont exigé de nous que nous utilisions nos ressources pour accomplir cette tâche», a-t-il ajouté, admettant que «les gouvernements saoudiens successifs se sont égarés» et qu'il était urgent «aujourd'hui d'œuvrer à un retour à la normale». «Nous ne ferons que retourner à un islam modéré, tolérant et ouvert sur le monde et toutes les autres religions», avait-il affirmé l'année passée. Il a entamé une série de réformes : permettre à la femme de conduire, assister aux matchs, ouvrir des salles de cinéma, organiser des fêtes musicales, s'ouvrir au tourisme de masse... Une relecture des hadidths est également annoncée dans le royaume ultra-conservateur qui entend en finir avec sa réputation d'antan. Cela même si déjà dans les palais royaux, les pratiques seraient loin d'être celles de la société en général. A en croire les déclarations du prince saoudien dissident Khaled Ben Farhan Al-Saoud, faites à une chaîne de télévision, tout ce qui est interdit au peuple est permis dans les palais royaux.