Mercredi dernier, la salle de l' auditorium du théâtre de verdure n'a pas du tout affiché complet comme on s' y attendait alors que la journée était consacrée à Mahieddine Bachtarzi, un très grand chanteur d' andalou, un des fondateurs du théâtre algérien et un infatigable manager artistique. Organisée par l'établissement Arts et Culture et le centre de recherches d'anthropologie sociale et culturel (CRASC), cette journée a été marquée par les communications de Guy Dugas, Ahmed Cheniki et Hadj Miliani, respectivement professeurs des universités de Montpellier (France), Annaba et Mostaghanem et des journalistes Kamel Bendimered et Abdelhakim Meziani, ainsi que des témoignages de Réda Bestandji et Taha Lamiri. La communication de Hadj Miliani a été axée sur la difficulté de trouver des archives et des témoignages rapportant des faits concrets pour les chercheurs. Il a noté que les témoins ne rapportent en fait que «des généralités alors qu'on veut des faits» a t - il déclaré. Le professeur a insisté sur ce point, en ajoutant «il ne faut pas se contenter de généralités, pas seulement pour l'histoire de Bachtarzi mais pour l'histoire de la culture en général». Il a demandé à ce que les disques et les livres soient réédités. Evoquant Mahieddine Bachtarzi, Miliani a tenu à rappeler que c'est lui qui a exporté l'andalou en France afin que nos émigrés puissent profiter de cette musique. Se basant sur un livret que Mahieddine avait écrit en 1937, Hadj Miliani qui croyait que ce fascicule avait été interdit de parution par la France, a tenté de trouver des explications aux écrits pro-français de Mahieddine. Pour éviter de nouveau la polémique, il aurait été préférable que les invités aient axé leurs interventions uniquement sur la vie artistique de Mahieddine qui fut un très grand chanteur andalou, un talentueux comédien et un manager exceptionnel. Hadj Miliani a relevé le sens d'organisation de Mahieddine qui était parmi les premiers à être inscrit aux droits d'auteur et a comparé la situation du théâtre algérien entre la période d'avant 1954, alors qu' il y avait plus de 40 troupes qui sillonnaient l'Algérie comparativement à aujourd'hui où la troupe du TNA ne produit presque rien. Il a noté que Mahieddine était à la fois chanteur, metteur en scène, répétiteur, comédien et manager. Il faut dire que même les opposants de Mahieddine, qui était issu d'une famille noble de militants, reconnaissent qu'il était un grand travailleur et qu'il avait un sens incomparable de l'organisation. L'intitulé de la communication de Abdelhakim Meziani «Le ténor d' Alger de Djamaâ J'did à l'opéra d'Alger» résume l'itinéraire de Bachtarzi. Fait exceptionnel dans la vie religieuse algérienne, Mahieddine a été nommé Bach Hazzab à 17 ans alors que pour avoir cette place, il fallait réciter par cœur le Coran, avoir de bonnes connaissances de la langue arabe et avoir une belle voix. «C'est le muphti Bouqandoura qui l'intégra dans la troupe des Qessadine alors que des maîtres tels que Mohamed Benqobtane, Benchaouch et Cheikh Lakhal faisaient partie de cette troupe» affirme Meziani. «C'est Yafil qui a détourné Mahieddine et c'est lui qui est derrière sa carrière artistique» a ajouté Meziani. Le journaliste a indiqué qu'à cette période, il n' y avait que trois Arabes dans la troupe juive El Moutribia. Meziani a bien fait de rappeler que l' émir Khaled était le fondateur de toutes les troupes artistiques, culturelles et sportives. Il a également insisté sur le rôle joué par la bourgeoisie algéroise dans le mouvement national depuis le début du siècle. Pour le chercheur Ahmed Cheniki «Molière a fait son entrée en Algérie dès 1926 avec la pièce Djeha de Alloula (Ali Sellal). On retrouvera Molière dans El Mechhah en 1940, puis dans Les fourberies de Scapin Cheniki signalera que Mahieddine a été le premier Arabe à indiquer le nom de Molière dans les affiches. Bachtarzi savait déjà ce qu'était l'adaptation car il s'autorisait déjà à enlever certains tableaux et scènes d'origine et avait algérianisé les pièces de Molière». Kamel Bendimered, maître du journalisme culturel a comparé Mahieddine à Sophocle, en lui donnant le titre d'Amiral du vaisseau du théâtre algérien. Invité à témoigner, Taha Lamiri, un homme ayant consacré sa vie à l'art et à la musique et qui a été un compagnon de Mahieddine, a commencé par expliquer l'origine du nom Bachtarzi en se basant sur le livre de Mohamed Bencheneb, édité en 1922 «Mots turcs et persans utilisés dans le langage algérien». Il a noté que Bach veut dire chef et Tarzi, brodeur. Il a rappelé que Mahieddine a débuté par l'apprentissage du coran et a été élève de la première Médersa El Aâsria (moderne), créée par Mustapha Hafiz. Tout comme l'érudit Abderrahmane Djilali, Mahieddine a suivi les cours donnés par Bensmaia. Il a précisé par ailleurs que Mahieddine maîtrisait bien l'arabe et c'est pour cette raison qu'il ne faisait pas de faute en chantant l'andalou. Réda Bestandji, un des fondateurs du scoutisme et un véritable homme de culture, actuellement président de l'association andalouse Mezghenna a également tenu à mettre en premier la place de grand chanteur de Mahieddine.