Une belle photo vaut souvent tous les discours à Cannes : pour symboliser son engagement après le scandale Weinstein, le Festival a organisé hier une montée des marches «dédiée aux femmes du cinéma» avant l'entrée en compétition de la première femme réalisatrice. Les stars Jane Fonda, Claudia Cardinale et Marion Cotillard, les réalisatrices Patty Jenkins (Wonder Woman) et Tonie Marshall, les membres féminins du jury ainsi que des monteuses, productrices ou décoratrices feront partie des 82 femmes qui sont montées sur les marches vers 16h00 GMT. Un chiffre retenu «pour les 82 films réalisés par des femmes invitées en compétition depuis la première édition du Festival», ont indiqué les organisateurs, soit moins de 5% en 70 ans d'existence. Autre symbole important : la scénographie de cette montée, avec un arrêt prévu à la moitié des marches, en silence, «symbolisant combien l'intégralité des marches de l'échelle sociale et professionnelle leur est encore inaccessible», a indiqué le collectif 50/50 pour 2020 dans un communiqué. La présidente du jury Cate Blanchett lira ensuite une déclaration commune avec la doyenne du cinéma français, la cinéaste Agnès Varda (Visages, villages). Une action symbolique à l'initiative du collectif français 50/50 pour 2020 contre les inégalités dans le 7e Art et de Time's Up, pour aider les victimes de harcèlement sexuel après l'affaire Weinstein. Jadis tout-puissant et grand habitué de Cannes, le producteur américain est accusé de harcèlement sexuel et de viol par une centaine de femmes, stars comme actrices débutantes. Au sein du jury, la réalisatrice Ava DuVernay et la présidente Cate Blanchett font partie de la fondation Time's Up. Face à la déferlante Weinstein, le Festival de Cannes a joué la carte du pragmatisme, en distribuant un flyer rappelant les peines encourues pour harcèlement sexuel, avec un numéro de téléphone pour toute victime ou témoin et un mot d'ordre : «comportement correct exigé». «On n'a pas encore les chiffres mais il y a eu des appels», a affirmé samedi la secrétaire d'Etat française à l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, en déplacement sur la Croisette. Cannes doit être «un endroit qui doit être sécurisé pour les femmes», a-t-elle insisté. Le Festival a également envoyé un signal fort en choisissant un jury majoritairement féminin, présidé par Cate Blanchett, mais il s'est fait plutôt timide sur les questions de harcèlement ou de discrimination, qui ne furent pas évoquées lors de la cérémonie d'ouverture. En 70 ans, seule une réalisatrice, Jane Campion en 1993, a reçu une Palme d'or pour La leçon de piano. Hostile à toute discrimination positive, le Festival avait été critiqué pour avoir sélectionné seulement trois femmes en compétition cette année, même si elles sont bien plus nombreuses dans les sections parallèles. Samedi soir a lieu la projection du film de la première d'entre elles, la Française Eva Husson avec Les Filles du soleil, sur un bataillon de combattantes kurdes commandé par la sergente Bahar (Golshifteh Farahani). Découverte avec le sulfureux Bang Gang sur des jeunes se livrant à des orgies, Eva Husson n'hésite pas à se définir comme féministe dans ses films. «La représentation de la femme par la femme au cinéma, c'est un terrain encore peu exploré», expliquait-elle à la sortie de son premier opus. L'Italienne Alice Rohrwacher, Grand Prix en 2014 pour Les Merveilles, et la Libanaise Nadine Labaki viendront rejoindre plus tard le mince contingent de réalisatrices en lice pour la Palme d'or. Cette journée «100% féminine» sera suivie par une série de débats et d'engagements concrets dans les jours qui viennent. Dimanche, la ministre française de la Culture Françoise Nyssen viendra présenter, avec son homologue suédoise Alice Bah Kuhnke, un plan pour soutenir financièrement les jeunes réalisatrices du monde entier. Lundi, une charte pour favoriser la diversité et la parité dans les festivals de cinéma sera signée par les trois hommes en charge des sélections cannoises (Thierry Frémaux, Edouard Waintrop et Charles Tesson).