Surnommé le loup blanc des Aurès, Mohamed Demagh, le moudjahid et doyen des sculpteurs qui a longtemps souffert de la marginalisation est gravement malade. Il risque de partir sans qu'on ne lui rende l'hommage qu'il mérite. «Mohamed Demagh est gravement malade. Il est alité. Il est malade depuis une année, mais son état de santé s'est brusquement dégradé depuis son anniversaire le 04 juillet courant. Maintenant, il est inconscient et ne reconnaît pas les gens», nous a déclaré l'une de ses nièces, madame Fatah Zouhour Demagh, que nous avons contactée au téléphone et qui avait donné, quelques instants, avant l'alerte sur l'état de la santé de l'artiste à travers les réseaux sociaux en publiant une photo accompagnée de l'écrit suivant : «Voilà dans quel état se trouve le célèbre Sculpteur et Moudjahid Mohamed Demagh surnommé ‘Le Loup blanc des Aurès'.» La photo publiée sur les réseaux sociaux montre le moudjahid et sculpteur Mohamed Demagh, l'homme de 88 ans, né le 4 juillet 1930, étendu sur son lit de mort, le regard vide, inexpressif. L'image de ce grand artiste fatigué est très choquante. C'est l'épuisement des organes. Le temps a fini par avoir le dessus sur cet homme dynamique, énergétique et plein de vie, qui faisait, chaque jour, entre trente et quarante kilomètres de marche par jour et qui affirmait qu'il n'avait pas d'âge. Ammi Mohamed jouissait d'une excellente santé et lorsqu'on lui demande des nouvelles de sa santé, L'amour de la nature Le Loup blanc des Aurès, comme on le surnomme à Batna, bombe le torse avec fierté, frappe fort sur sa poitrine tout en déclarant avec humour : «Je n'ai pas besoin d'un médecin, j'ai besoin du poisson et de biftecks.» Il y a une année, alors qu'il avait 87 ans, il jouissant encore d'une bonne santé, fidèle à ses habitudes Ammi Mohamed sortait, au lever du jour, de la cité rurale où il habitait et prenait la direction des montagnes environnantes où il parcourait une trentaine ou une quarantaine de kilomètres, pour rentrer le soir, chez lui avec quelques objets de bois ou de pierre que la nature lui offre gracieusement. Dans son atelier, l'après-midi, il s'installait dans son atelier, déposait ses différents morceaux de bois et autres objets devant lui et donnait libre cours à son imagination et laissait son talent vagabonder à la conquête de nouvelles créations. La passion de la sculpture du bois ou autre objet de récupération coule dans son sang comme la sève dans les arbres. L'artiste Demagh avait laissé le métier de menuisier-ébéniste pour se consacrer à son art de sculpteur pour lequel il lui accorda tout son temps. 1er prix au festival Panafricain Sa première exposition remonte à 1966. Depuis, Mohamed Demagh n'a cessé d'enchaîner les présentations des expositions personnelles et ses participations à des manifestations collectives en Algérie et à l'étranger, essentiellement l'Iran. Il a à son compte plusieurs sculptures (impossible de les compter) dont «L'Etonnement», «La Mère et l'enfant» primées au Festival Panafricain d'Alger en 1969 où il avait obtenu le premier prix. Ensuite, Après les attentats du 11 septembre Mohamed Demagh en hommage aux victimes, il a créé une œuvre à partir de débris de bombes qui datent de la Guerre d'Algérie, mais la meilleure sculpture pour lui est celle de «Tef'faha (Le Pommier)», qui avait une histoire liée avec les souvenirs de ses parents. Après la mort de son père, le pommier, qui était dans la cour et donnait de l'ombre où ses parents venaient se reposer et prendre leur café se meurt. Pour immortaliser le bon vieux temps, il le coupa, le vernit et l'offrit à sa mère pour le conserver. Une rétrospective de sa vie d'artiste a été faite par la télévision algérienne dans les années 1980. Cet art, selon son propre témoignage, il l'avait découvert alors qu'il était combattant dans les rangs de l'ALN pendant la guerre de libération du premier Novembre 1954. C'est là que sa vie avait pris un véritable tournant. L'artiste était tombé immédiatement sous le charme de la nature et surtout de ses dons naturels pour la création artistique. Il avait commencé à collecter et à sculpter ces objets en bois et autres de récupération qui se prêtaient le plus à la forme recherchée afin d'en faire ou les muer en objets d'art. Suivant une gradation logique, du travail le plus grossier aux plus fins détails, il passa tour à tour par la menuiserie et l'ébénisterie pour se spécialiser dans la sculpture. Découverte de la sculpture Petit à petit, le goût de la sculpture s'est progressivement ancré chez cet artiste.Lorsque vous observez les sculptures de Mohamed Demagh, vous ressentez vite votre imaginaire sceller sa monture et partir à l'aventure. Devant ces merveilles, ces petites œuvres naturelles, parfois légèrement sculptées, comme une fabrique d' images, des représentations et des visions transportent votre esprit dans la rêverie et lui donnent libre cours. «Qui des amoureux de la sculpture, des journalistes et des artistes ayant eu l'occasion de visiter l'atelier de cet auguste sculpteur n'a pas été fasciné ou subjugué par le talent de ce sculpteur ?». Dans son atelier de Batna, Mohammed Demagh maintient le bois en éveil. Il le moule pour libérer l'élan qui sommeille sous la gangue pesante de l'écorce. Bois abattu auquel le sculpteur infuse une nouvelle vie, communique une autre dynamique pour le lancer à la conquête de nouvelles formes et de nouvelles significations. La sculpture de Mohammed Demagh est à la fois une sculpture charnière et une sculpture-témoin. De la gravure populaire sur bois, elle a gardé la spontanéité et l'état quelque peu brut; des conquêtes plastiques actuelles elle a adopté la liberté des formes et l'audace des expressions. «Le corps de l'objet sculpté devient un champ de cris et de signes où chaque observateur peut loger ses propres visions et sa propre lecture», écrivait, à propos de lui, en 1980, le regretté Tahar Djaout. Des questions se posent aujourd'hui : «où se trouvent toutes les œuvres de Mohamed Demagh ?» «Qu' ont fait les responsables de la culture pour les protéger ?» «Qu'Allah vous pardonne !» «Qu'est-ce qu'ils ont ces gens avec l'art et la culture. Tout ce qui les intéresse est servir leurs propres intérêts», nous avait répondu, un jour, lors d'une interview, Rachid Mouffok, un autre sculpteur de renommée mondiale, marginalisé pour son franc parler. L'indifférence Devant l'indifférence et leur incompréhension à l'art, ils n'ont pas montré de l'intérêt et pratiquement toutes les œuvres créées par l'artiste sculpteur Mohamed Demagh, malheureusement, faute de place, ont été tout bêtement abandonnées, détruites et jetées, selon des témoignages. Ce monument de la sculpture, également moudjahid, qui avait survécu, durant la guerre de libération nationale, le 24 juin 1956, à un bombardement de l'aviation française lorsqu'il était au maquis dans les Aurès sous le commandement de Abdelhamid Boudiaf où 35 de ses compagnons avaient péri, souffre de l'indifférence. Même si par fierté, cet artiste n'en souffle pas un mot, ses propos le trahissent parfois. Lors de l'une de nos rencontres, il nous avait confié: «Un jour, en rentrant dans le cimetière de Bouzourane (au nord-est de Batna), un sachet vert emporté m'est collé à la poitrine. Je l'ai enlevé et j'ai lu : ‘Soyez le bienvenu'. Vous voyez nos morts sont plus polis que nos vivants.» Jusqu'à quand vivra-t-il cet oubli, cette indifférence et cette injustice?