Il n'y a pas plus difficile parcours du combattant pour le sculpteur algérien, que de choisir une carrière de modeleur de l'argile, sinon du plâtre, de ciseleur du bois, ou celui de fondeur de cuivre. Feu Mohamed Demagh, décédé dans sa ville natale Batna, le 16 août dernier à l'âge de 88 ans, aimait en évoquant les péripéties de sa carrière d'artiste, se présenter comme un autodidacte. Un autodidacte qui s'est démarqué des écoles théoriciennes des Beaux-Arts, en commençant par le commencement, c'est-à-dire par la maîtrise du métier d'ébéniste au collège technique d'Hussein-Dey. Comment concevoir une œuvre, sans la ciseler millimètre par millimètre, afin de donner à une matière morte, une apparence physique, une chaleur tactile, et un regard expressif chargé d'enseignement à l'endroit de celui qui prend le temps la contempler !? L'artiste aurésien, en sculptant, savait que sa matière à travers le message évanescent qu'elle laisserait se volatiliser dans l'atmosphère jusqu'à la stratosphère, et peut être bien au-delà, que son métier se heurterait immanquablement à l'incompréhension, aux paradoxes, voire aux amalgames, et pourtant, dans le même sillage que son ami Kateb Yacine avec son butin de guerre «Nedjma», autrement, dans la même spécialité de l'expression plasticienne en compagnie de M'Hamed Issiakhem, sinon du poète Malek Haddad, du parolier Mohamed Stambouli, diversement, auprès de Hadj M'Hamed El Anka, ou du miniaturiste Mohamed Racim, pareillement pour Baya qu'être artiste, nécessitait l'accoutrement pour supporter l'environnement bureaucratique. Le talentueux Mohamed Demagh est parti dès son jeune âge à la conquête, non pas de la gloire, non pas de l'argent, mais aux quêtes relationnelles avec la nature, une démarche philosophique que seules les artistes peuvent atteindre à force de conviction, de foi et de persévérance. Selon les témoignages des gens qui l'ont approché, il passa malgré son âge avancé, une bonne partie de son temps dans son atelier. Toujours aussi imaginatif et perpétuellement créatif, Mohamed Demagh avec quelques éléments qu'il ramassait ça et là dans son bourg, arrivait à créer des œuvres dont la magnificence laissait les visiteurs qui l'approchaient admiratifs. On dit de lui qu'il aimait récupérer dans les monts des Aurès les vestiges de la guerre de libération. Des troncs d'arbres calcinés par le napalm, il parvenait à dynamiser la nature morte, pour lui faire raconter l'histoire tourmentée d'une région qui a résisté aux hordes colonialistes avec bravoure et abnégation. La sculpture, est un art qui survit aux mortels. La sculpture, c'est également un art pour revivifier les mémoires en racontant l'histoire des civilisations. Mohamed Demagh nous a quitté, mais son œuvre lui survivra pour l'éternité dans nos manuels scolaires et pamphlets culturels.