Il y a 18 ans, Fadhila Dzirya nous quittait après avoir bercé des générations d'Algériens par sa voix douce. On garde de cette chanteuse en Bedroune, ce beau sourire et cette voix exceptionnelle. Fadhila est citée à chaque fois qu'on raconte l'histoire du Hawzi en Algérie. Elle est un des maillons forts de cette chaîne. On ne peut citer la pionnière Mâlma Yamna Bent El Mehdi qui a ouvert la voie à Meriem Fekkay (El Beskrya), Cheïkha Tetma, Alice Fitoussi, Reinette Daoud, et d'autres sans penser à cette dame qui fut le lien entre ces anciennes dames du Hawzi et celles qui prendront le flambeau, notamment Seloua qui passera le témoin aux plus jeunes (devenues grandes) notamment Nardjess, Nadia Benyoucef, Naïma ainsi que leur cadette Dalila Naim. Bien qu'elle soit partie contente d'avoir laissé une relève, Fadhila Dzirya a laissé quand même un vide après son décès le 06 octobre 1970. Bien qu'elle était issue d'une famille conservatrice, Fadhila, de son vrai nom Madani ne pouvait être que chanteuse. Ses parents qui ne voyaient pas leur fille embrasser une carrière d'artiste, ne pouvaient tout de même pas l'empêcher d'écouter les disques 78 tours de «Maâlma Yamna Bent El Mehdi» qui tournaient régulièrement sur le plateau de la Ghenaya (Tourne disque à manivelle) familiale. La petite Fadhila se voyait déjà parmi les remplaçantes de la grande chanteuse des années1930. Son autre idole était Meriem Fekkai El Bessekria qui la connaîtra plus tard et fera même partie de son orchestre. La voix et le sourire La petite Fadhila avait tout pour plaire. Elle avait de très beaux yeux, un joli sourire et une belle voix. Dès son jeune âge, elle est découverte lors d' un passage à l' émission «Men Koul Fen Chway» qu'animait El- Hbib Hachlaf aux côtés du chef d' orchestre Haddad El Djilali. Au début des années trente, elle avait chanté en Arabe et en Kabyle au café des Sports. Mustapha Kechkoul, mélomane connu et discothécaire de Radio-Alger lui conseilla de se spécialiser dans la chanson classique et lui procura des textes du patrimoine tel que «Mel Hbibi Malou» de Ben Msaïb. Son mariage forcé à l'âge de 13 ans ayant fini par un divorce a poussé la jeune Fadhila alors qu'elle était en début de carrière à partir en France. Elle se retrouvera dans le milieu des artistes émigrés et chantera au cabaret «El Dzazair» du moderne algérois et du Hawzi. Convaincue par sa mère à rentrer au pays, elle continuera à chanter et animer les fêtes familiales. Elle retournera au café des Sports (près de la mosquée Ketchaoua) qui aurait appartenu à Hadj Omar puis à Hadj Mahfoudh pour égayer les soirées de Ramadhan. Mustapha Kechkoul, qui lui conseillera une nouvelle fois de chanter le Hawzi, l'introduira dans l'orchestre féminin de la radio qui était dirigé par Meriem Fekkai. Elle se retrouvera rapidement parmi l'élite de la chanson algérienne aux côtés de Tetma, Reinette Daoud (l'oranaise), Alice Fitoussi qui a fini dans les années 70 par devenir voyante à El Biar avant de partir définitivement en France. A l'époque où les spectacles de musique étaient généralement précédés d'une pièce théâtrale, l'occasion était donnée à Fadhila de jouer dans plusieurs pièces, notamment avec les Tournées Mahieddine. C'est ainsi qu'elle avait joué dans «Dewlet Ensa» et «Mouni Radjel». Ces tournées lui ont permis de monter sur scène aux côtés de grands comédiens tel que Ketoum, Aouichette, Djelloul Bachdjerrah et du chahid Mohamed Touri. Au milieu des années 1950, Boudali Safir l'a programmé sur la chaîne de télévision. Les rares films qui restent la montrent avec Meriem Fekkai et Latifa. Révolution Cette dernière partira après l'indépendance en France. Fadhila Dziria qui avait participé à la révolution et fut emprisonnée à la prison Barberousse (Serkadji) choisira de rester pour prolonger une carrière très riche. Bien qu'elle fût analphabète, elle était toujours à l'aise pour chanter les chansons du patrimoine grâce à sa mémoire infaillible. Quelques mois avant son décès, on l'avait vu passer en direct à l'émission «Improvisation» qu'animait le grand Djafer Bek. Hadj Abderrahmane qui deviendra L'inspecteur Tahar était derrière la caméra en tant qu'opérateur (caméraman). Durant la même émission, Hassan Hassani et Tayeb Abou El Hassan s'étaient donné la réplique dans un Sketch éducatif «Lewlad Edhayîne». Elle était habillée en Bedroun fait de soie et portait un foulard de type «Mehermet El Ftoul». On conserve cette image d'elle, 38 ans après son grand départ. Elle repose au cimetière d'El Kettar non loin de grands artistes tel qu'El Anka et Rachid Ksentini et Rouiched. La chanteuse est bien partie, mais on ne peut oublier sa belle voix, son charme et son sourire. Pour lui rendre hommage, on met en marche notre ancien tourne-disque pour écouter un de ses vinyles 45 tours «Ana Touiri»….