Le Brésil, pour la majeure partie d'entre nous, c'est le foot et ses célèbres Pelé, Garrincha, Romario ou, plus récemment, Neymar. Passements de jambes, jongles, coups du sombrero, talonnades, rien n'est étrange en ce pays de génies du ballon rond. Un pays métissé, avec plus de 200 millions d'habitants qui représentent la moitié de la population de l'Amérique du Sud, et qui vient d'élire un étrange président. Jair Bolsonaro, ouvertement antidémocratique, raciste et le plus «antisystème» de l'histoire du pays, est l'apothéose du parcours spectaculaire d'un minuscule parti, le Parti Social Libéral. Ce parti était passé d'un seul coup de 1 à 52 députés, sur 513, aux dernières élections législatives. Faut dire que, confronté depuis 2013, à une crise économique et à un scandale de corruption généralisée de tous les partis traditionnels, le pays de la samba avait de quoi jongler et profiter de la vindicte populaire. Dans ce contexte tout aussi corrompu, le fait que Bolsonaro, impliqué dans plusieurs enquêtes sur la corruption, et soutenu par les notables les plus discrédités de la faune politique, puisse être le «sauveur» parait comique, et cette mystification risque de virer au tragique. Son programme politique ? Rien de bien précis, sinon qu'«il s'en remet à Dieu pour redresser le pays». Imparable, dans un pays où la statue du Christ trône sur les hauteurs de Rio de Janeiro… En fait, il a su amadouer un populisme de bon aloi, quand le niveau de vie des populations les plus pauvres est au ras des pâquerettes. Pendant la campagne électorale, une propagande anticommuniste a vu le jour comme par enchantement, et la croisade du bien contre le mal, essentiellement fondée sur des questions morales ou sociétales fera le reste. «L'homme au couteau entre les dents» promettait de «massacrer les rouges» et de «rétablir l'ordre moral». Il battait, par avance, l'extrême droite et ses principaux rivaux du centre-droite. Ajouté à cela, la droite classique, qui avait engagé un processus de fascisation, tant sur le plan socio-économique que politique, depuis le coup d'Etat contre la présidente élue, Dilma Rousseff, et l'ancien président Lula. Avec ça, le Bolsonaro pouvait se mettre dans la poche les masses populaires. C'est fait ! La corruption, la panique morale et la «peur des rouges» sont-elles, pour autant, histoires du passé ? Beaucoup en doutent, après que le nouveau président s'est vu coopté par le patronat brésilien, les grands propriétaires terriens, les marchés financiers, le gouvernement des Etats-Unis, et les plus grandes églises évangéliques du pays. Quant aux médias, ils sont unanimes pour dire qu'ils ont leur Donald Trump. Seuls les mouvements ouvriers, paysans, étudiants, ainsi que toutes les forces progressistes du Brésil restent dans l'expectative. Leur hypothèse est que Bolsonaro sera disposé à sous-traiter des domaines-clés en politique, et que ses tendances antidémocratiques pourront être contrôlées. Ils préfèrent, sans doute, affronter d'éventuelles perturbations, plutôt que de risquer un autre retour du centre-gauche. Un drible, un passement de jambes, un pari hasardeux que la politique n'a jamais couronné de succès, contrairement au foot ou en dansant la Samba. En fait, le gouvernement de Bolsonaro risque d'être une mosaïque représentative des nantis, et de mettre à l'affiche des acteurs jusqu'ici peu connus. Mais, ça ne sera certainement pas la rupture nette que ses électeurs imaginent. Le Bolsonaro devrait poursuivre les politiques socialement régressives de son prédécesseur, frapper durement les plus pauvres et geler l'ascenseur social. Le populisme a rarement fait mieux…