L'exaltation du souvenir est, grosso modo, ce que les déçus d'un vécu aux antipodes du voulu, ou du moins attendu, exposent pour mieux se remémorer la belle façade de ce qui les a vu grandir. Ce souvenir, passé à la moulinette sélective d'un «ya hasra âlik ya z'men» n'est pas du ressort d'un romantisme quelconque. Non, il puise, souvent, sa raison d'être dans ce choc violent, perçu dans la réalité d'aujourd'hui. Elle est souvent crue et triste à mourir, cette réalité au quotidien. C'est ainsi que le souvenir se fait coup de gueule. La violence qui se banalise un peu partout, et pas que dans les stades, des syndicats qui n'ont que la grève pour exister, la politique qui divise faute de rassembler, le «el harba t'selek» des harragas, la déliquescence des rapports humains, la profonde léthargie du culturel, bref, presque tout confère à l'outrage. Et le mot est lâché : outrage ! Oui, outrage à ce pays et ses immenses potentialités. En fait, le bateau «Algérie» est encore ivre. Non pas de trop de whisky, mais d'avoir bu trop de promesses, servies sur un plat garni de formules magiques. De l'ère du «socialisme spécifique» à la décennie noire, il a fait le plein en beuveries politiques, idéologiques et sociétales. Du bar au minbar de mosquée, ce bateau ne savait plus vers quel port aller, tant les mains changeaient sur le gouvernail. Il tanguait en haute mer, et il a même failli couler dans les abysses du Fis. Des dégâts ont atteint les fondements, les soutes du navire. L'université, l'école, les services publics et tout ce qui s'apparente au progrès, ont pâti d'une régression visible à l'œil nu, notamment sur des barbus parfois imberbes. L'on s'était fait du mouron, mais rares étaient les pâlichons face à cette bérézina. Et le souvenir d'une jeunesse, battant pavillon algérien pur et dur, s'était levé vent debout, contre les colportages moyenâgeux de ces gogos à pavillon «algeristan». Entre nous, l'outrage dont il est question aujourd'hui est, bien entendu, moins dramatique que celui de la décennie noire, mais la belle façade des années El Anka, Fergani, Idir ou Nouri Koufi, devrait rester sur ses gardes. Aujourd'hui, c'est à des mentalités figées, à des attitudes rigides, mues par le seul appât du gain, à des boyaux moulés dans la médiocrité et la corruption, que l'on a affaire. La déliquescence, qui envahit notre actualité, tourmente les esprits. D'abord, c'est l'outrage aux valeurs, au patrimoine de lieux, de figures, de senteurs et d'atmosphères, qui doit être pointé du doigt. Ensuite, c'est de cette multitude d'éléments, tant physiques qu'immatériels, que l'on pourra être fiers du «ya hasra âlik ya z'men». Et comme pour les métaux précieux, ces sentiments de fierté ne résistent pas à la froideur de l'analyse, quand il y a décomposition, altération… Et là, intervient l'appartenance à tout un pays, avec ses villes et ses villages. On ressent alors que cette appartenance a une ADN, un gène particulier, un chromosome qui transmet un caractère héréditaire. Ce caractère ne saurait accepter la hideuse image que véhiculent les outrages, au quotidien, que vit ce pays. Et ne peut se prétendre Algérien, de souche ou de greffon, peu importe, que celui qui aura intériorisé ce caractère, tout ce legs. Ce legs pétri de beauté, jaloux de ses coutumes, imbibé de culture, de richesse patrimoniale, de savoir-vivre et de fierté, est entrain de perdre son ancrage d'antan. D'où, le «ya hasra» qui torture l'esprit, pas encore aigri…