A l'heure où l'on sait à peine ce que nous réserve 2018, une sorte de dégoût s'empare de l'Algérien lambda. Coincé entre le loyer annuel à payer, la quittance trimestrielle du gaz et de l'électricité, l'abonnement mensuel à Internet et le sacré garde-manger à alimenter au quotidien, il se parle à lui-même. Ce besoin viscéral de parler l'autorise à se dire tout et n'importe quoi, la bouche pleine ou l'estomac vide. Pas forcément encarté à un parti ou adepte d'une zaouia, il a la boule au ventre pour son pays. Suspendus entre ciel et terre, ses mots sont jetés à la mer comme une bouteille emplie de fiel et de colère. Qu'il soit médecin-résident, enseignant, étudiant, fonctionnaire, chômeur ou retraité, il a une soif implacable de dire sa vérité amère, portée en bandoulière. Toutes les incompréhensions le font gerber ! Pourtant, son rêve à lui n'est pas d'aller sur la lune ou vers un quelconque Eldorado. Il tient à son bled d'Oued Zaâma ou d'Aïn Walou. Il sait pertinemment que les sarcasmes et les dénis ne datent pas d'hier. Optimiste, il a toujours ri au nez des analystes prédisant au pays un tunnel économique sombre ou des tranchées sociales lugubres. Les puits de boue, ça n'est pas son truc. Il retient en mémoire les eaux claires du bon vieux temps, enrubanné du «ya hassra âla z'men». Un passé ne retenant que la belle façade des choses et des causes qui l'ont vu grandir. L'école, le lycée, l'université, le quartier, l'équipe de foot, les amis, la famille, bref, tout passe à la moulinette, ô combien sélective. Ce souvenir, beau versant tant humain que moral, ne saurait être remis en cause, ne souffrirait d'aucun outrage au respect dû à l'instruit, à l'érudit par le savoir et la connaissance. Or, que se dire quand des «Bac+10» se font tabasser comme de vulgaires voleurs à la tire ?… Le citoyen lambda en perd l'évocation des mots dans son soliloque. Il baragouine des phrases longues comme un jour sans fin et finit par se dire qu'il y a maldonne dans les esprits. Entre l'interdit de manifester dans la rue et des blouses blanches ensanglantées, une vraie décote ternit les intelligences et les consciences. Le doute et les incertitudes s'installent dans le ciboulot du potentiel patient qu'il est. N'appréciant que peu les histoires de fantôme quand la nuit tombe, il a tout de même conscience des déserts médicaux qui l'entourent. Dans une maison isolée, à la lisière d'une forêt sombre bordant un cimetière, c'est donc pour une histoire de «service civil» que la baston s'est exprimée. La raison, la concertation et le dialogue entre gens civilisés avaient foutu le camp ! Les forces de l'ordre auront créé le désordre dans le monologue de notre écœuré baragouinant sa colère citoyenne et pacifique. Il envisage de porter plainte pour cruauté mentale. Mais contre qui et à qui adresser cette plainte ? Du haut de son moulin à vent, il n'a toujours pas répondu à la question et laisse vagabonder ses élucubrations. «Ce n'est peut-être qu'un fait divers monté de toutes pièces en mousse majeure», se dit-il pour se rassurer. En fait, il détache la notion du bien de celle du mal. Ces deux concepts ont été normés selon les temps et les mœurs. Au sein d'une opposition entre bien et mal, les gens éduqués et civilisés se démarquent des farouches porteurs de matraques. Les uns accueillent et applaudissent le chanteur Idir, de retour à Oued Zaâma après 39 ans d'absence. Entonnant sur la scène de la Coupole les «Yelha Wurar», «Vava Inouva» ou «Ssendu», il a certainement aperçu les autres en bas de scène, service commandé oblige...