L'Histoire n'est décidément pas avare de bonnes blagues. Celle qui a trait à la restitution des biens culturels africains détenus par les musées français en est une. Un rapport demandé au printemps dernier sur le sujet par l'Elysée sera remis ce vendredi. Entre gilets jaunes et autres clivages en dérapage, faut bien faire croire au Père Noël. Et ce rapport promet un grand bruit vide. C'est que le document a pour vocation d'éclairer une réflexion, sans plus. Mais ça grince déjà, du fait qu'on est dans le fait colonial. Des collections acquises entre 1885 et 1960 ont été passées au crible, et les rapporteurs préconisent une restitution massive de ces œuvres, à compter de décembre 2018 et janvier 2019. Une restitution qui est loin de faire l'unanimité, notamment chez les experts du «marché de l'art». D'après eux, ils n'ont pas été consultés, et au-delà de l'argument procédural, ils estiment que certains pays africains sont incapables d'accueillir ces œuvres, ou d'en tracer précisément l'origine. En termes moins policés, ça donne : «Mais que comprennent ces Africains à l'art ? Ils ont d'autres chats à fouetter…». De plus, près des deux tiers des 70.000 œuvres exposées au Musée du Quai Branly, haut-lieu des arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques, pourraient être concernés. Non, la restitution, si elle est retenue, créerait un trou noir abyssal pour la «Ville lumière», la «Paname» devant laquelle se pâment nombre d'Africains. Les mêmes experts ne considèrent pas que la grande majorité des œuvres africaines exposées en France comme des «butins de guerre», tel que stipulé par le rapport. D'autres critiquent la terminologie retenue, notant qu'il n'est pas possible de parler de trafics illicites, mais plutôt de transactions commerciales à l'époque coloniale. Un renvoi massif se heurte, enfin, à un dernier point : l'inaliénabilité légale du patrimoine des musées français. Les auteurs appellent donc au vote d'une nouvelle loi pour encadrer la restitution et compenser l'acquisition d'œuvres, lorsque celle-ci a été faite légalement, mais de façon immorale. Ô l'euphémisme ! Mais on tire sur les cheveux d'un chauve pour établir la moralité d'une «vente», entre guillemets ? On le voit clairement, la restitution saisit au vol l'acquisition d'œuvres par la rapine, pour parler de compensation. La moralité, elle est là où le marché de l'art veut bien la trouver arrangeante. En fait, il est évident que derrière cette restitution se dessine, en creux, la volonté d'une réparation pour les crimes et les pillages liés à la colonisation. Une question encore épineuse en France où, rappelons-le, il y a quelques années, on parlait sans honte d'une loi sur les effets positifs de la colonisation. Il est indéniable que l'Afrique a connu un pillage culturel. La France en a été un acteur majeur, même si elle l'admet, plus de cent cinquante ans après les faits. Aussi, poser la question d'une loi pour la restitution des objets pillés, volés et emportés pendant la période coloniale restera la bonne blague à consommer modérément. En outre, vider les musées français n'arrangera sûrement pas les affaires d'une économie aux abois. Taxer, à tour de bras, les derniers de cordée lui a valu des gilets jaunes. En se focalisant sur l'idée de réparation coloniale, sujet déjà très clivant, le leurre prend la couleur d'un gilet de sauvetage pas évident, à l'heure où l'Afrique a cessé de croire au Père Noël…