Rejet unanime, répression policière et craintes ont suivi son accession au poste de chef de l'Etat. Bensalah, le saut vers l'inconnu ! Quelques minutes après la fin de la protocolaire cérémonie du Parlement siégeant en deux chambres et réuni hier au Palais des nations, la voix de la rue, de la classe politique et de la société civile a parlé. «Bensalah dégage !», ont scandé les étudiants qui marchaient dans les rues de la capitale, à Tizi-Ouzou, à Constantine, à Oran, à Mostaghanem, à M'sila et à Chlef pour ne citer que ces villes. Nombre d'acteurs politiques et de la société civile ont immédiatement exprimé leur indignation. Mohcine Belabbas du RCD, a dénoncé «un coup d'Etat contre la volonté et la souveraineté populaire» pour la troisième fois de suite, «2008, 2016, 2019». L'avocat, Mokrane Aït Larbi, a déclaré que «la contre révolution entame sa phase pratique», criant «non à la confiscation de la révolution populaire et à la répétition du scénario de 1962», alors que Ali Benflis a expliqué que «la manière dont il vient d'être pourvu à la vacance de la Présidence de la République ne rapproche pas notre pays de la sortie de crise. Elle l'en éloigne dangereusement». Des organisations de la société civile ont également exprimé leurs craintes. Abdelwahab Fersaoui, de l'association RAJ, a vu dans l'accession de Bensalah au pouvoir «un indice très fort que le pouvoir n'a pas de volonté politique d'aller vers le changement démocratique revendiqué par le peuple». C'est donc dans ce climat de rejet unanime et emprunt de peur pour l'avenir de la transition démocratique et la suite du mouvement du 22 février, que Abdelkader Bensalah devient chef de l'Etat. Un mauvais départ, voire un début aux signaux rouges, pour un homme qui promet de faire tout ce qui est dans son possible «pour respecter la volonté du peuple». Ce même peuple qui, paradoxalement, ne réclame rien d'autre que son départ. Certes, l'arrivée de Bensalah aux commandes de l'Etat est le résultat de l'application de l'article 102 de la Constitution. Mais, se sachant contesté, il aurait bien pu se soustraire à cette «lourde responsabilité » – pour reprendre ses propres mots hier – et démissionner, comme ont plaidé l'ensemble des acteurs et chefs de partis politiques, y compris dans le camp du pouvoir. Slimane Saâdaoui, député du FLN, a demandé la parole lors de la réunion du Parlement, pour appeler Bensalah à démissionner, en vain, à cause du règlement intérieur de la séance qui l'interdisait. «J'invite M. Abdelkader Bensalah à écouter la voix du peuple, à faire preuve de sagesse et déposer sa démission», a déclaré le député à la presse. Son retrait aurait ouvert la porte à une solution politique négociée autour d'un consensus national, comme réclamé par l'ensemble de la classe politique, voire au sein même de la rue qui veut voir l'émergence de visages dignes de confiance pour mener une période de transition, où lui sera restitué sa souveraineté de choisir librement ses représentants. Hélas, Bensalah n'a pas osé. Il a préféré aller contre la volonté du peuple. Une démarche qui sera inscrite dans le parcours de l'homme, mais sûrement pas en des lettres en or. Alger : La marche des étudiants réprimée Loin du Palais des nations, la police a adopté une nouvelle stratégie face aux manifestations populaires. A la Grande poste, des étudiants ont été arrêtés lors de la marche, où il a été fait usage de la matraque et du canon à eau. Des signes qui prêtent à l'inquiétude pour la suite du mouvement, et la manière avec laquelle le gouvernement Bedoui qui, d'ailleurs, est maintenu de fait, compte réagir face aux algériens qui manifestent pacifiquement, et revendiquent le départ du système avec tous ses symboles. D'ores et déjà, les appels à un vendredi de colère et de mobilisation record sont lancés. Les algériens ne comptent pas baisser les bras. Bien au contraire, ils sont déterminés à aller jusqu'au bout et pousser Bensalah à la démission, comme ils l'ont fait avec Abdelaziz Bouteflika. Ce qui devait être un événement historique dans la vie d'une nation s'est transformé, hier, dans l'esprit des algériens, en un cauchemar. L'intervention de l'armée dans le débat politique en poussant Bouteflika à partir après la pression populaire, n'a mené en résumé qu'à Bensalah, lui-même rejeté. A moins de corriger le processus constitutionnel enclenché via l'article 102, en lui ajoutant les articles 7 et 8 qui consacrent «le peuple source de tout pouvoir», la désignation dans un «fait accompli» inédit de Abdelkader Bensalah à la tête de l'Etat risque d'ouvrir les portes de l'enfer.