Le nombre d'adeptes de la sorcellerie à Sid Bel Abbès suscite l'effroi : la population, du moins une partie d'entre elle, s'adonne encore à des pratiques médiévales qui persistent de nos jours. En effet, de nombreuses personnes souffrant d'un malaise social ou psychique se jettent facilement dans les bras des «talebs» sans vergogne qui les exploitent sur tous les plans. La pratique a pris une ampleur telle qu'il n'est pas rare de voir de jeunes citadines cultivées solliciter la "baraka" des saints et des marabouts, qui pour trouver un emploi, qui pour se marier et, le plus souvent,pour chasser le «mauvais œil». A Sidi Bel Abbès, un saint homme, Sidi Zouaoui, est devenu le souffre-douleur des filles qui veulent se marier. Chaque mercredi, des dizaines de jeunes filles qui ont consulté auparavant un voyant, y affluent pour, croient-elles, contrecarrer le mauvais sort. Malika, une jeune femme, âgée de 31 ans, nous raconte son histoire avec son «taleb» attitré qu'elle a consulté maintes fois. «Nous sommes sept filles à la maison et aucune de nous n'a eu la chance de se marier», explique-t-elle. «On entendait souvent les femmes dire à notre défunte mère que nous souffrions d'un «rebbate» (sorcier qui a le pouvoir de lier les gens). Elles disaient aussi que nous devions obligatoirement rendre visite aux ‘'walis'' , les seuls habilités à défaire la malédiction qui nous empêche de nous marier.» Le rituel est stupéfiant : après l'invocation adressée au saint homme pour conjurer le mauvais sort, la fille dite «marbouta» (liée) doit allumer des bougies et tourner autour du mausolée plusieurs fois en prononçant des incantations. Elle doit impérativement se purifier en prenant une douche avec l'eau du puits du mausolée ensuite laisser ses sous-vêtements sur une tombe pour que sa visite ait de l'effet. Magie noire Certaines personnes ont recours aux marabouts et sorciers pour envoûter les personnes qu'elles aiment afin de les conquérir. D'autres, n'étant pas rassurées de l'amour de leurs femmes ou de leurs maris, y ont aussi recours pour parvenir à leurs fins. Les raisons qui poussent les gens à aller chez les charlatans ne manquent pas. Plusieurs crimes ont été enregistrés à cause de la magie noire. En 2005, à Sidi Bel Abbès, une femme a été condamnée à 8 ans de prison ferme pour avoir empoisonné son mari qui a rendu l'âme deux jours après avoir ingurgité la potion de magie noire qu'elle lui avait spécialement préparée. Des enlèvements d'enfants ont été enregistrés, comme ce fut le cas à Marhoum en 2006. Plusieurs enfants ont été enlevés par des adeptes de la magie noire. Ils ont été retrouvés par la gendarmerie dans la forêt avoisinante affreusement mutilés. Pratiquement scalpés, sans langue, sans yeux et sans la lèvre inférieure, le corps à moitié dévoré par les chiens. En fait, dans les régions rurales de la wilaya de Sidi Bel Abbès, où le taux d'analphabétisme avoisine les 80 %, exacerbé par un chômage endémique, le charlatanisme et la sorcellerie restent une pratique courante. Dans ces régions montagneuses, souvent difficiles d'accès et pratiquement isolées, l'invocation des djinns et démons est toujours pratiquée par les talebs et sorciers pour exorciser le «mauvais œil», favoriser la fertilité des femmes, provoquer le mariage des vieilles filles ou jeter le mauvais sort. Un commerce florissant Le plus étrange, c'est que dans la ville même, ces pratiques, quoique feutrées, dissimulées, restent de mise. A El Gerba, dans la vieille ville, une ribambelle de gamins prennent possession de la ruelle principale dès le crépuscule pour vendre des centaines de petites tortues. «Non, c'est pour les gens qui ont des jardins et qui aiment élever des tortues», répond un des gamins à la question de savoir qui lui achète ces animaux. En fait, la sorcellerie, utilisait souvent les tortues comme rituel pour des actes sataniques ou pour jeter un mauvais sort. Au vieux souk de la ville, des échoppes obscures, dans lesquelles on entre le dos courbé, proposent plusieurs dizaines de variétés d'onguents, de matières premières et de végétaux pour les rites sataniques. «Djaoui, fsoukhs, chham, plomb», plantes, écorces d'arbres, et tant d'autres matières et onguents pour la pratique de la sorcellerie sont disponibles, avec en plus des variétés très rares sinon disparues ailleurs. La sorcellerie, qui n'est pas vraiment une pratique taboue ni un phénomène marginal rythme toujours le côté mystérieux d'une tranche de la population qui veut s'affranchir d'une époque médiévale très présente dans les régions rurales car faiblement développées et encore assujetties au rôle mystique des charlatans et des talebs. Sous le vernis de la modernité, on reste encore prisonnier des pratiques médiévales.