Le ministre de l'Intérieur ne croit pas si bien dire : il est difficile de parler aux jeunes d'aujourd'hui de la Révolution. Il est encore plus difficile de «réchauffer la flamme patriotique» chez eux ! Le ministre de l'Intérieur parlait en la circonstance des résultats, «mitigés» selon ses propres termes, des festivités de commémoration du cinquantenaire de l'Indépendance nationale. Après la perspicacité, le voilà réaliste, M. Daho Ould Kablia, puisque pour lui, «il y a l'événement» et «ce qui est attendu de l'événement». Et qu'est-ce qui est donc attendu de l'événement pour que les résultats ne soient pas à la hauteur de ce qui en était espéré au point de le faire dire au ministre de l'Intérieur, qui n'a pas la réputation d'être un incurable rabat-joie des jubilations officielles ? Que les «jeunes d'aujourd'hui» remplacent Lotfi Double Canon et Lady Gaga par Qassaman ou Min Djibalina dans leur MP4 ? Si tel est le cas, peut-être que les «objectifs» ont été alors trop ambitieux. A moins de remettre en question cette conception toute désuète de «l'esprit patriotique», il est difficile de savoir comment le pouvoir politique compte un jour faire jubiler ces jeunes. Parce qu'au-delà de la désuétude, il y a la confusion. Confusion d'abord entre aimer son pays et adorer ses gouvernants, confusion entre des colères parfois violemment exprimées et volonté de détruire, confusion entre le rêve de mieux vivre et la demande de l'impossible, et confusion enfin entre le sentiment d'être exclu d'une fête et le manque d'enthousiasme à en apprécier la réussite. Peut-être alors que ce ne sont pas tant les résultats des manifestations commémoratives qui sont «mitigés» mais les résultats de cinquante ans d'indépendance qui sont moins enthousiasmants ! Mais on ne déploie pas un tel faste pour dire une chose pareille, même si le ministre de l'Intérieur a tout de même «osé» dire que «nous sommes en retard de cinquante ans». Il n'a pas été très loin pour chercher le chiffre mais personne ne lui tiendra rigueur pour si peu. On ne sait pas si les cinquante ans de retard sont à la mesure du désarroi des jeunes et de leur manque d'enthousiasme à apprécier la fête, mais on sait au moins que l'analogie symbolique n'est pas mal comme trouvaille. Vient ensuite la «sacralité», puisque le ministre de l'Intérieur, dans la foulée, a déclaré aussi que «ce n'est pas aujourd'hui qu'on va dire aux jeunes que la révolution est sacrée». En l'occurrence, on ne sait pas vraiment à qui s'adresse M. Ould Kablia. On était habitué au propos paternaliste quand il n'est pas culpabilisateur, nous voilà confortés dans… l'habitude : «prenez dix personnes dans la rue, interrogez-les et vous vous rendrez compte que neuf d'entre elles ne connaissent ni Ben Boulaïd, ni El Haoues, ni Amirouche»! Et c'est la faute à qui, donc ? Pas de panique, le ministre de l'intérieur a la panacée pour ça : «il faut que l'école inculque aux élèves, dès leur jeune âge, le sens civique et les valeurs patriotiques»! En termes clairs, les «jeunes d'aujourd'hui» ne savent pas qu'ils doivent aimer leur pays, l'école leur apprendra ça cinquante ans après l'indépendance, alors que le pays a… cinquante ans de retard. Tout un programme, de belles perspectives pour les jeunes qui doivent prendre conscience de la chance qu'ils ont. Un pays formidable qui leur a tout donné et qu'ils n'aiment pas assez en retour, des gouvernants géniaux et patriotes, des écoles qui n'ont pas réussi à leur apprendre qui est Ben Boulaïd mais vont s'y mettre et des manifestations grandioses pour célébrer le cinquantenaire de l'indépendance qui auraient pu avoir des résultats moins mitigés. Il faut absolument que leur flamme patriotique soit réchauffée. Pas tout de suite peut-être parce qu'il fait trop chaud et c'est le ramadhan. N'est-ce pas par la chaleur et le ramadhan que le ministre de l'intérieur a expliqué le retard dans la formation du nouveau gouvernement ? Slimane Laouari