Aujourd'hui, lundi 2 mars, Charm El Cheikh sera sous les feux de la rampe. Les projecteurs de l'actualité vont se braquer de nouveau sur ce petit port de pêche devenu base militaire égyptienne et objet de convoitises, au pied du Sinaï. Est-ce seulement une question d'argent ? Une station balnéaire aujourd'hui renommée et qui a connu l'occupation israélienne lors de la guerre des six jours, jusqu'à sa restitution en 1982 aux Egyptiens. Pas loin d'une vingtaine de rencontres, de séminaires et de conférences en tout genre se sont tenus depuis en ce lieu chargé d'histoire. Presque tous les chefs d'Etat ou de gouvernement du monde y ont séjourné. La dernière rencontre fut celle coprésidée par l'Egyptien Hosni Moubarak et le Français Nicolas Sarkozy, le 19 janvier soit 22 jours après les bombardements de Tsahal sur les populations civiles de la bande de Ghaza. Reconstruire Ghaza ? L'objectif de ce minisommet qui s'est tenu en présence de dirigeants arabes (le roi Abdallah de Jordanie, Mahmoud Abbas) et du président turc Abdullah Gül et des Européens (Angela Merkel, Gordon Brown, José Luis Zapatero, Mirek Topolanek et Silvio Berlusconi) et de Ban Ki-moon, était «d'obtenir un engagement collectif pour affermir le cessez-le-feu et amorcer un processus vers une paix durable». Le président égyptien Hosni Moubarak y avait annoncé l'organisation, en Egypte de cette conférence internationale, qui se tiendra mardi, pour la reconstruction de la bande de Ghaza. Plus de 70 pays «donateurs» devraient y être représentés, selon le ministère égyptien des Affaires étrangères. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a annoncé sa participation. Une dizaine d'organisations et d'institutions internationales ou régionales (Nations unies, UE, Ligue arabe, Banque mondiale, FMI, Organisation de la conférence islamique, et des institutions et fonds islamiques, arabes et européens) feront aussi le déplacement à Charm El Cheikh. D'autres «grands» de ce monde y seront également, et d'ores et déjà des promesses d'aide sont avancées. L'argent suffira-t-il ? Certains pays arabes avaient déjà annoncé la couleur en promettant de participer à la reconstruction de la bande de Ghaza. Les dégâts étaient estimés à plus de deux milliards de dollars. L'Algérie met dans la cagnotte 200 millions de dollars. L'Arabie Saoudite a quant à elle déclaré vouloir mettre 1 milliard de dollars dans cette action, soit presque la moitié de la somme requise pour la reconstruction de la bande de Ghaza. L'Union européenne a indiqué vendredi, de son côté, qu'elle participerait à hauteur de 436 millions d'euros au titre de 2009. «Cette contribution financière européenne sera consacrée à l'aide humanitaire et au redressement rapide de la bande de Ghaza. La priorité des priorités reste la réouverture immédiate et inconditionnelle de tous les points de passage vers Ghaza, (...) tant pour l'aide humanitaire et les échanges commerciaux que pour les personnes», n'a pas manqué de rappeler à cette occasion Benita Ferrero Waldner, la chargée des relations extérieures pour la Commission européenne. A l'évidence, cette conférence sera l'occasion pour tous les pays «donateurs» de dire combien ils pourront délier les cordons de leur bourse et surtout dans quel but.Gageons que la France par l'intermédiaire de son trépignant Président qui fut — rendons à César... — l'initiateur du sommet de janvier pour la paix, en tant que président de l'Union européenne à l'époque, va sans doute essayer d'imposer son point de vue.
Les cartes du Hamas Flanqué de Bernard Kouchner, Sarkozy va donc tout faire pour que la France puisse jouer à Charm El Cheikh un rôle qui la replacera au Moyen-Orient. Il est vrai qu'avec l'aide de Moubarak, «intermédiaire connu et reconnu d'Israël», dont la France s'est faite un allié de taille, Sarkozy va tenter d'avancer ses pions dans la région. Ce serait une belle victoire si tant est que le «Hamas» ne vienne à perturber ce début de lune de miel. La visite vendredi — la première depuis 30 ans — d'une grosse pointure du Hamas dans la bande de Ghaza, en l'occurrence Moussa Abou Marzouk, numéro deux du bureau politique du Hamas qui vit en exil à Damas, n'est pas pour arranger les choses. Comment décrypter en effet cette «incursion» d'Abou Marzouk qui a rejoint Ghaza par le point de passage de Rafah, à la frontière avec l'Egypte ? Quel signal faut-il relever ? Sans doute le n°2 du Hamas, qui n'est pas reconnu officiellement par la communauté occidentale et surtout les Etats-Unis et l'Union européenne, a-t-il voulu tester, à la veille de cette importante rencontre, les capacités des uns et des autres. Sachant notamment qu'au plan politique, le Hamas doit jouer serrer, car, même s'il dirige la bande de Ghaza et son gouvernement de main de maître, il sait que les bailleurs de fonds européens ne tiennent pas à ce qu'il gère les millions qui seront versés à la reconstruction de Ghaza. Que peut Mahmoud Abbas ? L'autorité palestinienne, qui «est installée» en Cisjordanie est évidemment le partenaire préféré des «donateurs». Mais comment organiser et mener à bien autant d'importants chantiers de reconstruction, par-delà des «frontières» qui resteront sans doute fermées par Israël qui ne permettra que des passages très contrôlés des marchandises, biens et matériaux nécessaires. Mahmoud Abbas ne pourra pas reconstruire la bande de Ghaza. A moins qu'il ne joue le jeu du Hamas et que plus qu'une poignée de main réconciliatrice, il fasse des concessions. De quel ordre ? Le pourra-t-il ? Les «donateurs» lui laisseront-ils cette latitude ? Les ONG humanitaires et celles dépendant des Nations unies seront probablement appelées à la rescousse, comme alternative… Mais alors, dans ces conditions, que fera le Hamas qui s'estime légitimement le seul interlocuteur en place ? La France, qui semble vouloir gagner en «prestige», sera de toute façon gênée aux entournures vu ses accointances avec les dirigeants israéliens. Le monde arabe avec lequel elle tente de toujours garder de bonnes relations acceptera-t-il de jouer le jeu ? Obama, n'aimerait-il pas s'essayer un petit peu, après le rapport que lui a remis son envoyé spécial dans la bande de Ghaza, John Kerry, qui fut précédé de deux membres de la Chambre des représentants du Congrès américain, Brian Baird et Keith Ellison ? Comme d'habitude, je crains que des tractations en coulisse ne viennent renforcer cette intime conviction que le «peuple de Ghaza» passera encore une fois en deuxième position après les intérêts des parties en présence. Une conviction encore plus affirmée, depuis que la droite et l'extrême droite israéliennes ont «démocratiquement» pris le pouvoir et sachant que le gouvernement de Netanyahu est contre la paix. Il faudra espérer que les participants au sommet de Charm El Cheikh puissent se rendre compte qu'au-delà de toute considération, la plupart d'entre eux n'ont pas à ce jour encore condamné Israël, l'agresseur, et que l'argent n'est pas toujours la meilleure solution.