Août 2012. La planète entière a les yeux tournés vers la capitale anglaise, Londres, où se déroulent les Jeux olympiques d'été. Dans les épreuves d'athlétisme, le sport roi, le monde apprend à connaître l'Algérien Taoufik Makhloufi, qui survole sa série du 1500 m, récidive en demi-finale avant de s'imposer de nouveau en finale offrant à son pays une médaille d'or qu'il n'avait plus obtenue depuis les Jeux de Sydney en 2000 et le succès de Nouria Benida Merrah au 1500 m féminin. Une semaine après cet exploit, l'enfant de Souk Ahras a été reçu tel un héros en Algérie. Les gens, de quelque niveau social qu'ils soient, se bousculaient pour s'afficher à ses côtés. On voulait à tout prix toucher le héros et se prendre en photo avec lui. Décembre 2013. Une saison de l'athlétisme a pris fin, une autre va commencer. Après quelques jours de vacances, les athlètes se préparent de manière à retourner sur les pistes et les terrains dans la meilleure forme possible. Taoufik Makhloufi n'est pas encore de ceux-là. Explication : en 2013, il avait débuté sa préparation en Ethiopie puis l'avait poursuivie en Espagne. Son objectif était les Mondiaux de Moscou pour lesquels on le voyait parmi les grands favoris du 1500 m. Malheureusement pour lui, la maladie l'a rattrapée. Une maladie virale qui l'a complètement mis à plat au point de l'éloigner des pistes pour un bon bout de temps. Pas de Mondiaux donc pour Makhloufi dont la saison 2013 est à mettre aux oubliettes. L'essentiel pour lui était de bien se soigner afin de revenir dans des dispositions à même de lui permettre de repartir du bon pied. Aujourd'hui, il se dit «guéri à 90%» et prêt à «reprendre les entraînements». Les dernières analyses qu'il a effectuées font ressortir que le plus dur est passé pour lui. Son bilan physiologique est des plus encourageants. Des soucis qui ne devraient pas exister «Je me sens bien», nous a-t-il affirmé lorsque nous l'avons rencontré il y a à peine deux jours. Il nous apprend alors qu'il a repris les entraînements en solo au niveau du complexe olympique Mohamed Boudiaf, ce qui n'a pas manqué de nous faire tiquer car la plupart des athlètes de par le monde sont déjà dans une phase de préparation avancée. «Je comprends votre air interrogateur, nous a-t-il déclaré. Ce que je peux vous dire, c'est que je devrais incessamment recevoir mon dossier de préparation après quoi, je verrai avec mon coach comment entrer dans une phase plus poussée de cette préparation mais très sincèrement, ce n'est pas ce qui m'inquiète en ce moment. J'ai des soucis autrement plus importants qui font que je m'entraîne sans vraiment forcer.» Prié de nous révéler ce qui le contrarie, le champion olympique du 1500 m n'a pas hésité à nous répondre : «Sonatrach». «Enfin, quand je vous dis Sonatrach, je veux parler de ses responsables. Je suis au GSP depuis 2008. Quand j'avais gagné à Londres, je l'avais fait pour mon pays et son peuple. Je l'avais aussi fait pour mon club. Aujourd'hui, quand vous consultez les documents relatifs à l'athlétisme mondial, vous lisez que Taoufik Makhloufi est un athlète algérien licencié au club du GSP. Voilà quelques années que je demande mon intégration au sein de l'entreprise-mère. Si je le fais, c'est parce que je sais que d'autres sportifs du même club ont obtenu cette faveur. Quand je n'étais pas connu, toutes mes requêtes étaient restées lettre morte. Or, après ma victoire de Londres, le PDG de Sonatrach, Abdelhamid Zerguine, avait, lors d'une soirée au cours de laquelle j'avais été honoré par l'entreprise, en présence du ministre de l'Energie en personne, annoncé que j'allais être intégré comme travailleur de Sonatrach. C'était, je vous l'avoue, la plus belle des annonces que j'avais eues, plus que toutes les récompenses que j'avais reçues. Nous sommes en décembre 2013 et à ce jour, il n'y a rien eu de fait au sujet de cette intégration. Malgré mes multiples démarches, notamment celles qui m'ont amené à être reçu à plusieurs reprises par M. Zerguine, j'en suis au même point. Je n'en peux plus de quémander. Comment voulez-vous avec ça me pousser à me tourner vers ma préparation ? Je voudrais bien aller à l'étranger et la commencer sérieusement mais si je le fais, ce sera avec un esprit serein, rassuré sur ma situation socioprofessionnelle. Il n'est pas question pour moi de m'éloigner de l'Algérie pour passer ensuite mon temps à régler mes problèmes par le biais du téléphone. Il faut qu'on me donne une réponse ferme. Je ne demande pas l'impossible vu que d'autres sportifs ont été intégrés à Sonatrach sans problème. Il faut que l'on soit franc avec moi. Si on ne veut pas de moi comme employé de Sonatrach qu'on me le dise. Qu'on cesse alors de me couvrir de fausses promesses comme ça je saurais ce qui me reste à faire. Vous comprenez aisément que je ne peux m'entraîner correctement avec un moral extrêmement affecté. Je suis à bout car c'est comme si je m'adressais à un mur.» Voilà donc où en est la situation actuelle du champion olympique de Londres du 1500 m. On n'a pas l'impression que certains de nos responsables mesurent l'importance de ce que Makhloufi a réalisé. C'est autant sinon plus que la qualification de l'équipe nationale de football à la Coupe du monde. Plus parce que cette équipe ne remportera pas le trophée planétaire alors que Makhloufi a fait retentir Qassaman et fait lever le drapeau de son pays lors d'une cérémonie suivie par plus de deux milliards de paires d'yeux. On voudrait bien connaître quel est l'Algérien qui en a fait autant ces dernières années. Ce qui nous étonne de la part de Sonatrach, c'est que question investissement dans le sport elle en connaît un bout, notamment avec la prise en charge de l'équipe de football du Mouloudia d'Alger où elle verse des salaires parmi les plus hauts d'Algérie, même à des joueurs qui n'ont pas encore mis les pieds sur un terrain en match officiel. En tout cas, cette histoire de Makhloufi relance le débat de la prise en charge de nos athlètes. Ce garçon nous a révélé qu'en matière de récompenses, il n'a pas eu à se plaindre. «Je ne suis pas de ceux qui vont pleurer. J'ai eu une prime de la part de l'Etat conformément à la réglementation. Mes sponsors Mobilis et Nike ont également été là. Je n'ai pas demandé de logement. Celui que je vais bientôt acquérir de l'ai payé de mes propres deniers. Sonatrach m'a aussi récompensé financièrement mais ne croyez pas que c'était extraordinaire par rapport à ce que j'avais fait.» «Même mon coach n'a pas été payé» Que reste-t-il alors au champion olympique ? De se tourner vers la saison athlétique 2014 ? Difficile de croire qu'il le fera avec un esprit rassuré vu la situation psychologique dans laquelle il se trouve. «Cette saison n'est pas aussi vide qu'on le pense. Il y a les Mondiaux indoor en Pologne au mois de mars mais je ne pense pas que j'y serais. En fait, mon gros objectif ce sera les championnats d'Afrique qui auront lieu au mois d'août à Marrakech, au Maroc. Je vais voir avec mon coach ce vers quoi je vais me préparer mais je pense que je vais doubler 800 m et 1500 m. Il y a aussi les meetings internationaux vers lesquels je vais un peu plus me tourner.» Quand on lui parle de son coach, le Somalien Adem Jama, Makhloufi devient critique envers les responsables de l'athlétisme algérien. «Il a été recruté et dispose d'un contrat pour cela mais à ce jour, il n'a pas perçu le moindre centime. Quand il me téléphone, il me parle de mon état de forme et de ce que je fais mais il n'hésite pas à m'évoquer ce problème financier. Franchement, ça ne fait pas sérieux.» En fait de responsables de l'athlétisme algérien c'est bien de la fédération qu'il s'agit. «Elle fait comme le font toutes les autres fédérations. Elle active selon les circonstances. Je n'oublie pas qu'avant les Jeux de Londres je devais prendre part aux Jeux méditerranéens de Pescara. Ce n'était pas une grande compétition internationale. J'étais alors un néophyte et mes temps étaient corrects, du moins pouvaient-ils me donner l'espoir d'aller à Pescara. Mais à la FAA, on n'avait pas voulu de moi comme on n'avait pas cru en moi en plusieurs circonstances. Il avait fallu que mon coach de l'époque, Amar Brahmia, se batte pour que j'aille aux JM de 2009.» Quand on entend Makhloufi, on peut avoir l'idée de croire que ce garçon demande trop et oublie ce que l'Algérie a fait pour lui. «Je sais qu'on risque de me prendre pour quelqu'un de prétentieux et qui n'a pas tellement le nationalisme dans le corps. Je dénie à quiconque de douter de mon amour pour mon pays. Quand je suis dans un supermarché et que je vois sur les étiquettes des produits qu'ils sont fabriqués chez nous, vous ne pouvez pas savoir combien je suis fier d'être Algérien. Je suis décidé à me sacrifier encore plus pour mon pays. Cherchez à connaître combien a coûté la médaille d'or olympique de Londres de Makhloufi à l'Algérie ? Vous verrez qu'il s'agit d'un chiffre dérisoire par rapport à ce qu'ont consenti d'autres nations pour leurs champions. La préparation pour les Jeux de Londres je l'avais débutée dans les montagnes kenyanes, où je dormais à même le sol avec une légère couverture sur le dos. On croit que nous les athlètes disposons de sommes faramineuses pour nous préparer. C'est une erreur. Nous sommes très souvent obligés de faire de l'équilibrisme pour rentrer dans nos frais. Pour tout vous dire, nous sommes obligés de mettre de notre propre argent pour continuer à travailler. En outre, je ne comprends pas cette mesure consistant à nous demander de faire à chacune de nos sorties un rapport détaillé de toutes nos dépenses. Au lieu de nous entraîner convenablement, on passe notre temps à nous soucier à récolter les notes de frais. Un athlète, ce n'est pas une équipe. Il est seul et est son propre chef de délégation. Il faut revenir au système des bourses de préparation comme cela se faisait avant.» Voilà donc Makhloufi face à son destin et de ce que vont décider les responsables de Sonatrach à son sujet. «Je veux une réponse précise et franche. J'en ai vraiment marre des fausses promesses. En tout cas, je suis loin d'être fini. Je suis toujours Taoufik Makhloufi et mon ambition est de remporter d'autres titres internationaux pour mon pays. Je sais ce que je vaux et me sent capable de revenir au sommet. Le grand objectif des athlètes va être les Jeux de Rio en 2016. J'aurais alors 28 ans, c'est-à-dire l'âge où un athlète est au top. Je compte tout faire pour être prêt à ce rendez-vous.»