Ce matin, Fouad a décidé de ne pas aller au boulot. Eh oui, au pays de Fouad, pour ne pas aller au boulot, il suffit de le décider. Pourtant, c'est la première fois que l'idée lui est venue en tête. Sinon, quand il s'absente, c'est que Fouad est malade, en week-end ou en congé. Il lui arrive aussi d'aller à l'enterrement des proches, même pas les fêtes dont il décline les invitations quand il ne peut pas les honorer en soirée. L'idée lui a traversé la tête et avant de la mettre à exécution, il s'est longuement posé la question si ce n'était pas une drôle d'idée, voire si c'est une idée tout court. Parce que pour Fouad, aller travailler est quelque chose de sacré. Ses amis, ses collègues, ses voisins et même ses frères en rigolent franchement. Leurs sarcasmes ont rarement produit de l'effet sur lui mais il en retient tout de même quelques perles, qu'il raconte aux quelques brebis galeuses avec qui il partage le sacerdoce du boulot. Et ils en rigolent aussi. Fouad et ses amis connaissent la chanson : plus on est des fous, plus on s'amuse. Ils sont loin d'être nombreux mais ils compensent ça par l'enthousiasme. L'enthousiasme à aller dormir à des heures raisonnables, à se réveiller au petit matin, à prendre la route, à pousser la porte du bureau, à saluer les collègues et à se mettre à la tâche. Parmi les perles que garde Fouad des sarcasmes de ses proches, il y a celles-ci : «Le travail c'est la santé, mais le repos n'a jamais tué personne», «est-ce que tu connais quelqu'un qui a réussi par l'effort dans ce pays ?», «le travail, c'était avant», «il vaut mieux sortir de l'usine que d'y entrer», «ils font semblant de nous payer, donc nous faisons semblant de bosser», «on peut dormir et manger» et puis d'autres encore… Mais qu'on ne s'y méprenne pas, Fouad travaille mais ne s'est jamais senti une âme de rédempteur.La morale aux autres n'a jamais été son fort. Il regarde et écoute même avec quelque condescendance ceux qui, autour de lui, rechignent à la tâche, jusqu'à en faire une seconde nature. C'est de sa moralité qu'il s'occupe, Fouad, pas de celle des autres. Et c'est son boulot qu'il prend au sérieux, pas sa petite personne. On lui a toujours reproché de ne pas se prendre au sérieux, d'ailleurs. Parce que même s'il suscite souvent des sarcasmes de ses proches, il leur inspire tout de même respect et considération. Ils sont comme ça, ceux qui ont de petites choses à se reprocher, ils sont plein d'admiration pour ceux qui sont différents d'eux, même s'ils ne le disent pas toujours avec ostentation. Ils sont quand même braves, se dit-il toujours. Ce matin, Fouad a décidé de ne pas aller au boulot. C'est dimanche, jour ouvrable, il n'est pas en congé et il n'est pas malade. Mais il ne sait pas quoi faire de la journée. Quand il ne bosse pas, Fouad a ses petites habitudes. Un match de foot dans le petit stade du quartier, une promenade au bord de la mer ou en forêt et parfois une soirée arrosée avec les copains. Mais là, il devait travailler et il n'avait rien programmé. Une fois n'est pas coutume, il a tenté de prendre conseil sur ses amis sarcastiques mais personne n'est là. Ou ils dorment ou ils sont partis faire semblant de travailler. Finalement, il a décidé d'aller… au boulot. Pour changer. Slimane Laouari