«On va encore nous pomper l'air longtemps avec cette violence faite aux femmes ?» Ce n'est pas un misogyne maladif, ni même un conservateur accompli ou un islamiste assumé qui s'est exprimé ainsi. C'est une femme du monde à qui on ne peut même pas reprocher la résignation ordinaire face à l'ampleur du retard de son pays en matière de droits féminins. Ses «états de service» comme militante comme ses choix de vie nous renvoient d'elle plutôt l'image d'une battante que celle d'une femme blasée qui aurait définitivement cédé au fait accompli. Sa phrase est pourtant trop dure, et quand on ne connaît pas assez la dame, il devient difficile de résister à la tentation de sortir les vieilles et confortables formules toutes faites. Celle, facile et méprisante qui a toujours voulu nous convaincre que le plus grand ennemi de la femme serait la femme elle-même, par exemple. Mais elle n'est pas seulement facile et confortable, la vieille formule, elle est surtout auto-flagellatrice. Surtout quand elle parvient à toucher les espaces de résistance les plus imprenables, dont cette femme aurait très bien pu être une représentante emblématique. Cela est le signe non seulement du niveau du déni de droit et de la persécution faite aux femmes mais aussi - ou pire - de l'indigence de leur combat. Samia, appelons-la ainsi, ne comprend par exemple pas pourquoi on irait marcher au parc zoologique de Ben Aknoun en ce jour entièrement dédié à la lutte contre la violence faite aux femmes. Pourtant, marcher à Alger en ces temps de disette en indignation, ce n'est déjà pas si mal, même dans un endroit si isolé et peut-être bien singulier. Mais Samia ne s'arrête pas aux petits détails. L'appel à marcher lancé par le réseau Wassila, s'il est loin de l'enthousiasmer, n'est pas non plus ce qui la révolte le plus. Elle en parle même avec une certaine condescendance. D'abord parce que dans ce conglomérat d'associations, elle ne compte que des amies avec qui elle a partagé l'essentiel, ensuite parce qu'au fond d'elle, elle sait qu'il faut toujours faire quelque chose, même illusoire, pour espérer que tout n'est pas perdu. Parce que cette femme, quand bien même elle serait blasée, sait encore aller à ce qu'elle considère comme primordial : «Le corps de la société, la Cité et le pays profond sont livrés aux pires archaïsmes, au déni de droit et à la violence contre les femmes pendant que les femmes et les hommes censés acquis à l'égalité et à un projet de modernité pour le pays se retranchent dans des espaces de marginaux à partir desquels ils agissent, parfois par acquit de conscience et souvent de façon velléitaire», dit-elle. Qu'est-ce qui a fait alors qu'une femme aussi lucide et pertinente en arrive à manquer à ce point de détermination sur un terrain de lutte qui n'aurait jamais dû cesser d'être le sien ? Ce n'est certainement pas de Samia qu'on attendrait la réponse, auquel cas la question ne se poserait même pas. Car même si son analyse ne manque ni de lucidité ni de pertinence, elle ne suggère ni stratégie ni feuille de route. Pendant qu'on marchait au parc zoologique, pendant qu'on ruminait ses aigreurs d'ancien combattant de la cause et pendant qu'on ressasse ce qu'il faut faire sans le faire, les femmes se font tabasser tous les jours, sont toujours officiellement mineures, se font répudier sans autre forme de procès, sont interdite d'espace public et se voient même créer des… taxis roses, comme c'est le cas à Oran ! Bien sûr, il faut quand même marcher, même au parc zoologique, il faut aussi des femmes comme Samia pour nous rappeler l'essentiel. Et pas seulement pour l'illusion. Slimane Laouari