Dans une salle Harcha pas vraiment pleine mais pas suffisamment vide pour une entrée gratuite, des visages de femmes apparaissent dans les gradins et les caméras de l'ENTV ne s'en privent pas. L'Algérie organise la coupe d'Afrique des nations de handball. Ça fait un bail qu'on n'organise plus rien de consistant, en sport ou dans d'autres domaines. Autant y mettre le paquet alors. En plus du niveau relevé de cet événement dans la hiérarchie formelle des compétitions dont il faut tirer le maximum en matière de prestige, il faut aussi chercher à grignoter dans ce qu'elle charrie dans sa périphérie. L'image reste en effet tentante. Quoi de plus emblématique de la vie que le sourire ravi de belles femmes qui se lâchent dans les gradins d'une salle de sport ? Bien sûr, elles auraient aimé qu'il en soit toujours ainsi. Il n'en est quasiment jamais ainsi et elles le savent, ces femmes exclues des espaces les plus expressifs de la vie, quand elles ne sont pas carrément exclues de la vie. Elles savent qu'elles sont là pour meubler les travellings de caméras convoquées pour une récréation et destinées à capter l'illusion. Des femmes et des enfants, rassemblés dans des coins «réservés» où on les a conduits avec d'inhabituelles sollicitudes. Parmi elles, il y a bien sûr des passionnés de handball. Pour le reste, le hand est quand même un beau prétexte pour aller respirer un coup. Elles savent qu'elles sont là, qu'elles ne peuvent être là que pour la nécessité du moment. Et elles y sont allées, bien des fois par inadvertance. Et quand on leur tend le micro pour dire leur bonheur d'être là, il arrive souvent qu'elles livrent le fond de leur pensée : dommage que ce ne soit pas tous les jours comme ça. D'autres, comme beaucoup d'Algériens qui se sentent obligés de parler comme des militants du FLN dès qu'ils ont un micro à portée de la bouche, disent ce qu'on attendait exactement qu'elles disent : «c'est super, cette ambiance familiale», «l'organisation est parfaite»… il ne manque plus qu'à entonner Qassaman et on a la totale. A propos d'«ambiance familiale», les femmes qui se sont retrouvées ces jours-ci à la salle Harcha comme toutes les autres qu'on convoque à l'occasion n'ont pas «trouvé ça toutes seules», on les y a «aidées». Depuis que la société a été livrée à l'obscurantisme, les espaces et les moments de présence féminine ont acquis un nom auquel la «famille» est systématiquement et ostentatoirement associée. Ambiance familiale, restaurants et cafés avec salle familiale, des salles de spectacles avec des rangées de sièges «réservées aux familles»… Il y a même un ingénieux oranais qui a songé à créer une compagnie de «taxis roses» réservés aux femmes. Un roublard particulièrement inspiré qui a bien compris que les archaïsmes imposés à la société pouvaient aussi constituer des opportunités de business. S'il ne le fait pas carrément par militantisme ! Le procédé est confus mais l'objectif plus net. En attendant de leur fermer toutes les portes, on peut encore tolérer des femmes dans certains espaces, mais «en famille». C'est donc l'idée de liberté qui est combattue. La liberté de mouvement et d'action de la femme mais aussi la liberté pour l'homme de se retrouver dans des espaces mixtes sans lesquels le bonheur et la vie sont une vue de l'esprit. Sinon, nos stades et nos salles de sport, déjà assez périlleux pour les plus durs, ne vont pas renvoyer l'image d'une femme épanouie parce que pour les besoins de… l'image, on lui a réservé un carré «sécurisé» pour quelques rencontres de handball. Sinon, ça se saurait. [email protected]