Le bonhomme avait tout d'un brave père famille sans histoires, son propos était mesuré et il donnait surtout l'image de quelqu'un qui savait de quoi il parle. Le bonhomme s'exprimait au micro de l'ENTV, entouré de bambins soucieux de placer la tête dans le champ balayé par la caméra. Il était question de donner son avis sur le «démantèlement du marché informel» de sa localité, du projet des «100 locaux par communes» promis pour «organiser l'activité» de ceux qui exercent «leur commerce» dans l'illégalité et l'anarchie et de tout ce qui se rapporte au sujet. On ne sait pas si son intervention a été délestée de quelques passages sur la table de montage, mais de ce qui est diffusé, on retiendra ceci : «Il faut dire la vérité, si vous leur donnez des locaux, leur demandez de se faire un registre de commerce et de payer les impôts, aucun d'eux ne travaillera !» Cette sortie, un peu expéditive dans sa spontanéité, aurait trouvé sa place dans le fin sarcasme des jeunes de banlieue française à qui un caricaturiste particulièrement inspiré avait fait dire : «Arrêtons de déconner, ils menacent de nous trouver du boulot !» Sauf que dans le cas qui nous concerne, il ne s'agit pas de... trouver du boulot à des jeunes et moins jeunes qui en ont apparemment déjà un, plutôt pénard et bien rétribué. Bien évidemment, on pourrait toujours soupçonner le brave bonhomme d'être un commerçant «légal» soucieux de défendre son bifteck en refusant l'arrivée de nouveaux concurrents, toujours plus entreprenants et plus roublards. Mais il n'est pas le seul à être de cet avis. Difficile de «revoir à la baisse» les revenus de «commerçants» habitués au moindre effort ou «travailler plus pour gagner moins» pour inverser une expression à la mode. Non seulement il n'est pas question pour eux de faire la moindre... concession salariale, ils se sont depuis si longtemps sentis dans leur bon droit, qu'ils le disent sans bavure. L'autorité leur achète-chèrement-la paix sociale, eux la vendent volontiers et l'opinion la plus large éprouve à leur égard la pathétique bienveillance qu'on développe à l'égard des voleurs : qu'on leur donne du travail et ils ne voleront plus ! C'est qu'ils ont aussi leurs arguments, les vendeurs à la petite semaine qui... vendent tous les jours ! Après tout, ils ne manquent certainement pas de pertinence quand ils répliquent, souvent avec assurance, que «ce ne sont pas les cageots de pommes de terre et les camionnettes d'oignons qui mettent en péril l'économie du pays, ce sont les containers !» Et comme les certitudes, surtout quand elles sont explicables, elles ont la peau dure, il n'est pas étonnant d'entendre dire que si l'Etat voulait réellement lutter contre l'informel, il aurait certainement commencé par les gros trafics dont le plus «emblématique» se pratique sous les yeux des policiers à quelques mètres du palais de justice d'Alger, sur le parvis du... Théâtre de Constantine ! Et de rappeler que c'est un communiqué du conseil des ministres qui a cru pertinent de «rassurer» les grossistes qu'il n'a jamais été question d'exiger d'eux de fournir des factures, encore moins d'envisager une quelconque rigueur fiscale ! Cela se passait pendant que planait sur le pays le risque d'un «printemps» algérien, ce qui nous ramène à rappeler que d'avoir toujours géré le «fléau» par le calcul politique et selon les capacités de nuisance de ses acteurs, on a fini par installer le fait accompli : faute de donner une formation on a donné des crédits à des jeunes qui ne voient plus l'utilité de créer l'entreprise quand on a de l'argent ; faute de donner du boulot, on veut donner des commerces à d'autres qui l'exerçaient déjà dans des conditions bien plus avantageuses ! A moins qu'on ne les «rassure» déjà que tout continuera comme avant : pas de registre de commerce, pas d'impôts, pas de loyer, puisque beaucoup de bénéficiaires de l'Ansej sont déjà convaincus que personne ne leur demandera de rembourser leur crédit ! [email protected]