Samedi passé, en début de soirée, les téléspectateurs qui regardent encore l'ENTV, en raison de leur grave addiction au football, ont assisté à moins de dix minutes de jeu, avant que ne commence un autre spectacle qu'ils n'attendaient pas. Ulcérant, mais tout de même vrai. Parce que l'autre, le spectacle qu'ils sont censés trouver dans le sport qui les passionne, il est plutôt rare sur nos terrains. Mais que voulez-vous, les passions, qu'elles franchissent les frontières de l'addiction ou non, sont tenaces, on s'y accroche. En football comme dans d'autres domaines de la vie, «quand on n'a pas ce qu'on aime, il faut aimer ce qu'on a», n'est-ce pas ? Ou faire semblant, pour que l'illusion demeure. Ce jour-là, comme pour tous les autres jours de foot, le spectacle n'est pas garanti mais il y avait largement de quoi entretenir l'illusion au «stade de l'Unité maghrébine» de Béjaïa. L'USM Alger, un club engagé dans une grande ambition sportive et leader du championnat, y débarquait en conquérant. En face, le MO Béjaïa, avec moins de moyens mais plus d'enthousiasme et d'ancrage, avait ses arguments pour bousculer la hiérarchie. On aurait pu appeler ça une belle affiche, n'était l'état général du football dans le pays. Mais nous sommes déjà dans une autre histoire. Parce que l'histoire de ce début de soirée au stade de Bgayet, bien que caractéristique du reste, est bien plus lamentable. On jouait moins de dix minutes quand les Algérois marquent un but dans la foulée d'une panne de courant qui a plongé le stade dans le noir. Consternation chez les spectateurs et les téléspectateurs. Et déjà une sourde colère chez les partisans du club local. Pendant que les supporters contenaient leurs râles dans un mince espoir du retour de la lumière, le président, lui, semblait tout comprendre. Au micro tendu par la journaliste de l'ENTV sur la main courante, il livrait déjà le fond de sa pensée. Sur le ton de quelqu'un qui a compris sa douleur, il n'a ni attendu ni mâché ses mots pour dire l'issue de ce qui venait d'arriver et lancer les premières accusations : «L'USMA n'a pas besoin de ça pour nous battre. Mais perdre dans ces conditions nous est insupportable. Nous n'avons aucune responsabilité dans cette coupure de courant, puisque nous ne gérons pas le stade. Ceux qui le gèrent n'en sont pas à leur premier coup bas contre nous, ils ont fait ça parce que ce sont des supporters d'un autre club.» L'allusion au deuxième club de la ville est on ne peut plus claire. Comme on a le football de notre télé et la télé de notre football, Madame la journaliste a cru être dans son rôle de «répliquer» sur un ton polémique : «Il ne faut pas dire ça, c'est juste une défaillance technique» ! Hilarant. Pendant que l'impatience gagnait en intensité dans les gradins et sur les canapés, un autre journaliste prenait le relais pour s'en prendre à un adversaire imaginaire, trouvant le temps d'attente réglementaire insupportable. Non pas pour le foot et ceux à qui on a infligé ce «spectacle», mais pour ce que ça implique comme désagrément à… la programmation de l'ENTV ! Hallucinant. Dans la foulée, il a oublié l'incapacité de son équipe à meubler correctement quelques minutes d'attente ou alors «rendre l'antenne». Une équipe qui n'a pas pu «meubler» mais qui a eu quand même eu ses réflexes «hors vocation». Pendant que le président du MOB s'inquiétait sur la réaction de sa galerie dont la colère est imprévisible, un journaliste le… rassurait : «Non, il ne se passera rien» ! Surréaliste. Le soir venu, on complétera le tableau à l'heure des résultats de la journée : MOB 0-USMA 3. Sans même mentionner l'arrêt du match pour les raisons que l'on sait. Le règlement ne prévoit pas cette précision du score même s'il stipule la victoire de l'équipe visiteuse dans pareille situation. Mais on a changé de vocation pendant toute une soirée, on ne va pas la retrouver après le dîner. Le wali de Béjaïa a, lui, rapidement pris ses responsabilités, en limogeant le soir même le directeur du stade. Il savait, lui, qu'il pouvait se passer quelque chose. [email protected]