Le rôle du journaliste, les pratiques de déontologie et d'éthique qui constituent les piliers normatifs du journalisme et qui œuvrent dans l'intérêt du service public ont été au cœur d'une communication animée, hier, au Forum du quotidien Liberté par Alain Rollat, un ancien routier de la corporation, qui cumule 50 ans d'expérience dans le journalisme dont 25 au quotidien français Le Monde. Venu en Algérie dans le cadre d'une opération pilote de l'Union européenne qui vise à former les journalistes maghrébins aux bonnes pratiques du journalisme, il a souligné qu'à l'issue de ces rencontres, toute la presse maghrébine disposera d'un mémento qui traitera des questions inhérentes aux usages professionnels. Définissant la déontologie comme l'ensemble des valeurs collectives et l'éthique comme l'ensemble des valeurs individuelles ainsi qu'un comportement approprié, il a indiqué que la règle fondamentale du journaliste était d'informer la société en faisant preuve d'honnêteté. «Le journaliste est au service des autres, du droit des peuples à revendiquer une information la plus honnête possible. Il n'est pas un acteur politique, c'est davantage un intermédiaire qui a une fonction sociale et dont l'impact à des retombées politiques. S'agissant des principes déontologiques, ils doivent s'appliquer partout quels que soit la culture, le pays», a-t-il indiqué, ajoutant que les textes de référence qui relèvent de ces questions ont tous les mêmes contenus et renvoient à des principes intangibles tels que la vérification des faits, l'importance de respecter la vérité, le lectorat, savoir rectifier ses erreurs, ne pas tomber dans la diffamation, l'incitation à la haine, à la discrimination. «La déontologie se mesure à travers les écrits des journalistes et par un comportement approprié notamment lorsque l'on est face à des tentations. Ainsi, les principes sont intangibles mais à l'épreuve du terrain, les pratiques peuvent évoluer», a-t-il affirmé, ajoutant que le professionnel de l'information ne doit pas épouser les émotions des autres, ne pas se laisser dépasser par ses propres émotions pour être capable de situer certains faits. S'appuyant sur sa propre expérience, il a expliqué l'importance de préserver son intégrité afin de nouer une relation de confiance avec son lectorat et de lui expliquer les règles du jeu quand la collecte d'informations ne s'effectue pas par un canal habituel. «Le lectorat attend des médias qu'ils exercent un contre-pouvoir. Nous avons le privilège de pouvoir interpeller les politiques, les acteurs économiques. Nous sommes des employés au service de la démocratie. Il est normal que l'on demande des comptes mais à notre tour, nous ne devons pas refuser la critique des lecteurs et reconnaître nos erreurs», a-t-il soutenu. Dans le même sillage, il a expliqué que toutes les vérités sont bonnes à dire sous réserve de ne pas mettre en péril la vie de quelqu'un dans l'exercice de son métier, soulignant l'importance de préserver ses sources. «Lorsque l'on écrit, on doit jauger le poids de sa responsabilité sociale, ne pas sortir de son rôle. Néanmoins, dans les cas où un informateur nous impose le off et que nous sommes en possession d'une information qui touche à l'intérêt public, on ne peut la taire», a-t-il relevé. S'agissant de l'attitude que les journalistes doivent adopter face aux pressions politique, économique qui peuvent s'exercer sur eux, M. Rollat a indiqué qu'il fallait prendre à témoin le lecteur et que bien souvent une entreprise qui retire son budget le réintègre car les dégâts sur son image auprès de l'opinion publique sont très importants. La presse écrite va devoir opérer une mutation sur le Net Estimant que les médias notamment audiovisuels façonnent et fabriquent les hommes politiques, M. Rollat a alerté sur les dangers que représente la relation parfois tumultueuse média/politique. «Il faut avoir de la distance entre sa plume et le sujet que l'on traite pour ne pas céder à la passion. J'estime que les hommes politiques appartiennent à un microcosme particulier et j'adopte l'attitude d'un observateur. Il ne doit pas y avoir d'amitié entre les journalistes et les acteurs de la scène politique. Il ne faut pas franchir la barrière de la vie privée, il faut s'interdire toute complaisance car même si l'on a toujours été intègre, on risque de devenir suspect aux yeux de l'opinion publique», a-t-il soulevé, expliquant néanmoins que l'on peut entretenir des relations cordiales et entamer une collaboration avec ces derniers afin d'éclairer le public sur certaines questions. Il appuiera ses propos en révélant avoir eu, durant une année, une taupe au sein du Conseil des ministres de l'ancien président François Mitterrand et qu'il s'agissait du directeur de cabinet du porte-parole de Mitterrand qui n'est autre que l'actuel président François Hollande. «L'Elysée a compris que ma source était introduite au plus haut niveau mais ça arrangeait Mitterrand car les informations que Le Monde publiait lui rendait politiquement service alors oui, j'étais instrumentalisé mais conscient de l'être et dans le but d'informer l'opinion publique. Tout le monde trouvait son compte», a-t-il dévoilé. Interrogé sur l'avenir de la presse écrite face à l'émergence des médias électroniques qui sont très prisés par le public, M. Rollat a estimé que cette concurrence était saine et qu'elle n'annonçait pas la disparition des journaux mais plutôt leur évolution. «Les journaux vont devoir adopter sur le net un tout autre format. Il ne s'agira pas de reproduire uniquement le contenu du journal mais de lui insérer des textes, des sons et des images ainsi que des nouvelles technologies. Les rédactions devront intégrer les métiers qui découlent des nouvelles technologies. Le journaliste va devoir se remettre en question et c'est à partir de là que la déontologie va jouer pleinement son rôle», a-t-il affirmé, ajoutant que la profession devra mettre de l'ordre dans ses rangs et prouver sa crédibilité par la qualité des contenus rédactionnels afin que l'opinion publique sache différencier le professionnel du secteur des experts en désinformation. Dans le même ordre d'idée, il a souligné l'importance de prendre en main l'éducation aux médias, les réseaux sociaux et ce, afin de donner à la société les armes intellectuelles à même de lui permettre d'éviter de tomber dans les pièges de la manipulation.