Censé incarner le souffle d'une "nouvelle génération", selon le lourd mandat légué par son père Juan Carlos, le prochain roi Felipe VI fait face, dans une Espagne en crise, à de nombreux espoirs qu'il aura sans doute du mal à honorer. Responsables politiques, grands sportifs comme Rafael Nadal, et passants: la plupart des Espagnols s'accordent à dire que le futur Felipe VI, éduqué depuis son enfance pour régner, est "bien préparé". Mais préparé à quoi? "C'est un bon roi, très bien préparé, mais sa tâche ne sera pas facile. L'Espagne est très agitée", remarque Antonio Molina, vendeur, à 60 ans, de boissons fraîches dans un kiosque installé près du Palais royal à Madrid. Là où, jeudi, Felipe et la nouvelle reine Letizia apparaîtront au balcon pour saluer les Madrilènes. Après des années marquées par une profonde crise économique, un chômage record, des scandales de corruption et des tensions séparatistes, beaucoup en Espagne espèrent que le roi apportera un vent de changement. Mais la tâche est lourde et les fronts sont multiples. "Il doit rassembler l'Espagne dans toute sa diversité et parvenir au meilleur consensus politique possible", dit Enrique Martin, un promeneur de 71 ans qui profite du grand soleil pour se balader vers le Palais royal. "Il fait face à une immense responsabilité mais je crois qu'il fera ce qu'avait fait son père à l'époque: tenter d'être le roi de tous les Espagnols. Je suis certain qu'il y parviendra, il est très bien préparé." Parmi ses plus grands défis: restaurer l'image de la monarchie, ternie par les scandales lors des dernières années de règne de Juan Carlos, 76 ans. Après être parti chasser l'éléphant au Botswana alors que le pays était au bord du sauvetage économique, le monarque avait été forcé de présenter des excuses historiques aux Espagnols en 2012. Si cette excursion peut paraître lointaine, l'affaire la plus toxique, elle, menace encore: un juge d'instruction doit décider s'il renvoie en procès sa fille cadette, Cristina, inculpée de fraude fiscale, et son mari soupçonné de corruption, Iñaki Urdangarin. "Il risque de décevoir" "Après tout ce qu'il s'est passé, il doit renouveler la monarchie", ponctuait Antonio Molina. Certains espèrent aussi que Felipe VI apaisera les divisions dans un système politique dominé par les deux grands partis, conservateur et socialiste, et qu'il modernisera la Constitution de 1978. D'autres veulent qu'il aide les millions de pauvres et de chômeurs. Et tandis que la Catalogne compte voter en novembre sur son indépendance et qu'au Pays basque les indépendantistes ont conquis une large place en politique, beaucoup espèrent que Felipe, 46 ans, pourra unifier le pays. Enfin, la question même de l'avenir de la monarchie, contestée, se pose avec plus de vigueur depuis l'abdication de Juan Carlos. Dès son annonce, le 2 juin, des milliers de personnes étaient descendues dans la rue pour demander un référendum afin de pouvoir choisir entre monarchie et république. "Est-ce qu'il va nous apporter quelque chose de positif ? J'en doute. On ne nous a même pas donné la possibilité de le choisir", s'indignait Paula Aciego, une étudiante de 22 ans originaire de l'archipel des Canaries, en visite à Madrid. "Les gens commencent à en avoir assez et disent "Ecoutez, nous voulons un changement". Ou Felipe s'adapte, ou il va y avoir ici un changement très important", prédisait-elle. De grandes attentes qui risquent d'être déçues. "En ce moment, les Espagnols attendent presque tout de lui: ils veulent qu'il trouve une solution pour la Catalogne, ils veulent qu'il règle le chômage", observe Cote Villar, journaliste au quotidien El Mundo. "Ils espèrent que ce nouveau visage provoquera un changement des institutions, car nous avons en Espagne une crise institutionnelle très profonde. Mais au fond, il reste le roi d'une monarchie parlementaire qui ne peut pas faire grand chose." "Le roi n'a pas le pouvoir de changer quoi que ce soit, mais il peut rassembler, accompagner, stimuler" le changement, nuançait toutefois José Apezarena, auteur d'un livre récent sur le nouveau couple royal. "C'est un grand souffle d'air frais", concédait Cote Villar. "Mais il court le grand risque de décevoir".