Ce matin, Kader devait retourner à son boulot. Après quatre semaines de vacances épuisantes, il va enfin goûter à onze mois de repos bien mérité. Le bureau de Kader n'est pas vraiment confortable mais il offre un «minimum de commodités», comme on dit. C'est vrai qu'il n'est pas vraiment fait pour récupérer de l'effort des congés mais Kader s'y sent quand même bien. Un téléphone, un micro avec connexion internet, des journaux chipés à ses supérieurs et le nec le plus ultra, un climatiseur. C'est qu'il a fait très chaud pour les derniers jours de vacances de Kader, une chaleur haineuse qui profite de ses derniers soubresauts en représailles contre ceux qui n'ont que le bureau comme espace de fraîcheur. Ces derniers jours n'étaient pourtant pas les plus pénibles pour Kader. Il avait plein de choses à faire, ce qui atténuait l'enfer des vacances où il n'avait qu'une seule et unique occupation : s'ennuyer. Il s'ennuyait quand il emmenait les enfants à la plage parce qu'il ne sait pas s'allonger sur le sable en regardant venir les vagues de toute façon invisibles en raison de l'amoncellement de corps enveloppés dans des bermudas, des qamis et des djelbabs. Il s'ennuyait quand il allait faire sa promenade en forêt. Il y a plus de gens que d'arbres, plus de sachets noirs que de buissons et moins d'oiseaux que de voitures. Il s'ennuyait quand il allait en ville. Il faut trouver un bar pour trouver des toilettes et tous les bars qu'il connaissait quand il était encore picolo sont maintenant fermés. C'est ennuyeux, quand on ne peut pas soulager sa vessie, même quand on est en vacances. Même quand les vacances sont déjà assez fatigantes comme ça pour ajouter à l'ennui, l'ennui d'urinoirs problématiques. Kader s'ennuyait dans sa petite voiture, la dernière à sortir de l'usine sans clim, la dernière à être achetée à crédit avant qu'Ouyahia ne décide de sauver le budget des ménages de l'endettement pour que les banques aient plus de liquidités à prêter aux importateurs de pétards. Il s'est ennuyé dans les fêtes de mariage où on économise sur le couscous pour acheter des feux d'artifice. Il s'est ennuyé de dormir sans rêver et d'entendre dire au réveil qu'il faut mourir pour vivre. Il s'est ennuyé de bouffer au lieu de manger, de regarder sans voir, de croire au lieu de penser et d'arrêter de lire au lieu d'arrêter de fumer. Kader s'est ennuyé de tout. Du soleil, de sa mère, des pastèques, de l'oxygène, de Hamid Grine, du limogeage de Belkhadem, de la fermeture d'un barrage à Béjaïa, des harraga arrêtés à Annaba et de diplomates libérés du Mali et de l'Equipe nationale qui gagne même en Ethiopie. Il s'est ennuyé de ne pas travailler pendant un mois alors qu'il fait semblant de travailler le reste de l'année. Pendant tout ce temps là, l'entreprise «nationale» qui l'emploie fait semblant de le payer et de lui accorder un congé, faute de lui payer des vacances. Kader s'ennuie qu'il y ait encore des entreprises nationales. Il s'ennuie qu'on l'appelle Kader alors qu'il s'appelle Abdelkader. Il s'ennuie de s'ennuyer. Ce matin, il était presque heureux de franchir la porte de son bureau. Il ne sait pas pourquoi mais il s'ennuie moins au frais.