L'ex-Premier ministre norvégien Jens Stoltenberg doit prendre mercredi les rênes de l'Otan, qui devra prouver dans les années à venir qu'elle peut efficacement endiguer l'agressivité de la Russie, et convaincre les Alliés d'investir dans leurs armées. M. Stoltenberg, 55 ans, va succéder au Danois Anders Fogh Rasmussen, dont les discours martiaux contre la Russie depuis le début de la crise ukrainienne ont contribué à forger l'image d'une Alliance revenant à ses origines, la défense collective face à la Russie rappelant la Guerre froide. Il y a un an, l'Alliance atlantique se cherchait une nouvelle raison d'être à l'approche du retrait de ses soldats d'Afghanistan, où ils ont combattu 13 ans sans éradiquer les Talibans et sans permettre l'installation d'un régime stable. "Mais on vient de traverser une année de turbulences", fait observer l'ambassadeur d'Estonie auprès de l'Otan, Lauri Lepik, citant l'attitude la Russie qui a annexé la Crimée début mars, puis envoyé des troupes combattre aux côtés des séparatistes dans l'est de l'Ukraine, et l'émergence de jihadistes ultra-violents en Irak et en Syrie. Dans ce contexte, la baisse structurelle des budgets de défense "rend les forces de l'Otan trop sous-dotées pour vraiment dissuader la Russie dans l'est de l'Europe, tout en devant affronter des troubles croissants en Afrique du Nord et au Moyen-Orient", note Alexandra de Hoop Scheffer, de l'institut américain German Marshall Fund. Les 28 dirigeants alliés ont décidé début septembre, lors de leur sommet au pays de Galles, de doter l'Otan d'un "plan de réactivité" qui doit permettre de déployer des troupes en quelques jours en cas d'agression, de renforcer les bases des Etats baltes et de la Pologne, d'assurer une "présence continue" des Alliés dans l'Est en organisant des rotations de troupes et en prépositionnant des armes et équipements. Ils se sont également engagés à augmenter leurs dépenses militaires à 2% du PIB d'ici dix ans, répondant à une demande des Etats-Unis, alors que Washington finance les trois-quarts du budget de l'Otan. 'Guerre hybride' "Le nouveau secrétaire général devra se concentrer sur la mise en œuvre de ces choix", estime Jan Techau, directeur de l'institut Carnegie Europe. Mais dépenser plus en matière de défense "va être très difficile" à obtenir de la part des Alliés, estime-t-il. "Il faudra jouer un jeu politique avec doigté. Si M. Stoltenberg y arrive, cela sera un vrai succès." Le plan de réactivité sera un test de crédibilité pour l'Otan. "Cela sera regardé de près. Il faut que ça marche, sur une période longue, pas juste un an ou deux", souligne M. Techau. Mais au-delà, "une approche pragmatique et prudente sur le futur de l'Ukraine" est nécessaire pour "préserver la possibilité de coopérer avec la Russie sur le long terme" sur des sujets comme le terrorisme, le conflit en Syrie, la prolifération nucléaire, l'Afghanistan, souligne Mme De Hoop Scheffer. Le principal défi de l'Otan sera de trouver le ton juste pour s'adresser à la Russie, accusée de mener une "guerre hybride" en Ukraine combinant une intervention militaire non assumée (forces spéciales et troupes au sol, envoi d'armes aux rebelles), une virulente propagande anti-occidentale, une alternance de chantage et de concessions, et des attaques informatiques. "M. Stoltenberg sait parler aux Russes", estime un diplomate à Bruxelles. "Les Norvégiens partagent une frontière avec la Russie, ils ont l'habitude de traiter avec le grand voisin russe et le prennent donc avec une certaine philosophie, ce qui est plutôt utile dans les circonstances actuelles", juge-t-il, alors que la rhétorique "un peu Robocop" de M. Rasmussen "a pu faire le jeu" de Moscou. En avril, toute coopération militaire et civile entre l'Otan et la Russie a été interrompue, et le Conseil Otan-Russie, un organe de consultation politique créé en 2002, "est plongé dans un coma profond", a reconnu un haut responsable de l'Otan, Timo Koster. "On ne pourra réveiller le patient" dans l'immédiat, "mais de notre point de vue il faut garder le canal politique ouvert".