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«Le sommet du G20 ou les prémices d'une gouvernance économique mondiale» Entretien exclusif avec M. Mourad Ahmia : secrétaire exécutif de l'organisation du Groupe des 77
Diplomate algérien au long cours, Mourad Ahmia revient pour nos lecteurs sur le dernier sommet du G20 et esquisse, en quelques lignes, les attentes de «la plus grande coalition de pays en développement au monde», le groupe des 77 dont il est secrétaire exécutif aux Nations unies, à New York. Le Temps d'Algérie : C'est semble-t-il le Fonds monétaire international qui est le plus grand gagnant du dernier sommet du G20. Qu'en pensez-vous ? Mourad Ahmia : La tenue du sommet du G20 témoigne d'une prise de conscience collective de l'ampleur de la crise financière internationale et il s'avère indispensable de procéder aujourd'hui à une réforme en profondeur de l'architecture financière internationale. Cependant, ce sommet n'a pas donné l'occasion aux pays en développement de se faire entendre et de participer effectivement comme il se doit au processus de prise de décision au niveau international.Jusque-là, la participation des pays en développement aux décisions des institutions de Bretton Woods, particulièrement du FMI et de la Banque mondiale, a été très problématique. Le moment est, peut-être, venu avec la crise financière actuelle de procéder à cette réforme en profondeur tant attendue par les pays en développement. Enfin, je vous rappelle que ceci n'a cessé d'être l'une des principales revendications du Groupe des 77, depuis son avènement en 1964.
Le sommet du G20 consiste, d'une certaine manière, en une coordination des politiques financières internationales. Que peuvent en attendre concrètement les pays en développement ? Comme vous le savez, la crise financière mondiale est le fruit de prêts hypothécaires à haut risque qui ont conduit à l'instabilité des marchés financiers. Il est donc impératif que toutes les réformes financières doivent prévoir des réglementations financières substantielles à caractère obligatoire afin de respecter les normes établies et d'éviter de nouvelles répercussions néfastes. Et puis, il faut non seulement exiger la transparence dans le système financier international, mais aussi et surtout simplifier les procédures en faveur des pays en développement. Ceci est notre préoccupation majeure, puisque les pays en développement sont gravement touchés par les répercussions de cette crise avec pour conséquence notamment de plus grandes difficultés à accéder au crédit et au financement.Il est donc important que la communauté internationale intervienne de façon concertée afin que la croissance de l'économie mondiale continue d'être soutenue et que les efforts de développement des pays en développement, particulièrement en Afrique, ne subissent pas les contrecoups d'une crise financière d'une ampleur inégalée. Aussi, je pense que la coordination des politiques financières internationales est cruciale pour la gouvernance économique mondiale dont les politiques concernant les finances, le commerce, les investissements et la technologie doivent être orientées vers le développement, sans occulter les besoins et préoccupations des pays en développement.
Excepté la voie diplomatique, la marge de manœuvre des pays en voie en développement est très réduite. Que préconisez-vous ? Il est, à mon avis, indispensable que les pays en développement puissent disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour formuler leurs plans de développement conformément aux stratégies nationales en la matière. Aussi, la mise en œuvre des politiques économiques doit tenir compte des priorités nationales et des circonstances particulières propres à chaque pays. Les interventions récentes du FMI pour limiter les exigences et les conditionnalités par rapport aux ressources financières octroyées par le Fonds sont insuffisantes.Il faut donc lever les restrictions financières qui accompagnent les accords d'assistance des institutions financières internationales, une revendication d'ailleurs constante du G24 dont l'Algérie est membre. J'aimerais aussi rappeler la décision prise par le président de l'Assemblée générale des Nations unies d'organiser un sommet début juin prochain sur la crise financière mondiale à New York. Ce sera l'occasion d'examiner en profondeur l'impact de la crise financière et d'adopter des mécanismes novateurs de financement du développement, y compris la mise en place d'un mécanisme de surveillance des politiques économiques et financières internationales.
Parlez-nous du G24... Le G24 est un «chapitre» ou partie du Groupe des 77 chargé des questions financières internationales. Basé à Washington, il est composé de 24 pays en développement dont l'Algérie. Sa principale mission consiste en la défense des positions des pays en développement au sein des institutions financières de Bretton Woods et toutes les agences qui leur sont associées. Le G24 dispose d'un secrétariat technique à Washington. Parmi les restrictions qu'ont à subir les pays en développement, il y a celles imposées par l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Ceci constitue-t-il pour vous une autre préoccupation ? Absolument ! Comme vous le savez, l'échec des négociations commerciales de Doha menées sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce est très préoccupant pour les pays en développement. Cela constitue un sérieux revers pour le progrès économique des pays du Sud. Il appartient, aujourd'hui, aux pays développés de faire preuve d'une réelle volonté politique et d'une certaine souplesse pour sortir de cette impasse. Dans le même ordre d'idées, il est absolument crucial que les négociations de Doha aboutissent pour que la croissance des échanges commerciaux soit soutenue, et pour que ses avantages soient mieux partagés avec les pays en développement. Par exemple, pour les pays en développement, l'agriculture doit continuer d'être au cœur de ces négociations et les pays développés doivent éliminer les subventions qui sont de nature à fausser les échanges commerciaux. Les pays développés se doivent de soutenir également les efforts des pays du Sud pour contrecarrer la crise financière. Il s'agit notamment de faciliter l'accès aux marchés des pays développés pour les produits des pays du Sud, de supprimer les subventions agricoles et d'accorder plus de considération aux produits des pays en développement. Un tel appui serait de nature à stimuler un impact positif visant à améliorer les revenus commerciaux des pays en développement. Pour en revenir au cycle de Doha, j'estime que l'issue heureuse de ces négociations offrira certainement l'occasion d'aller de l'avant pour repenser les échanges agricoles et réduire les incidences que les prix des denrées alimentaires ont sur un grand nombre de pays en développement, notamment les plus pauvres d'entre eux. Enfin je suis d'avis qu'il est indispensable de renforcer le système commercial international et d'améliorer la compétitivité des pays en développement ainsi que leur aptitude à tirer parti des débouchés qui s'offrent à eux. L'aide pour le commerce doit être adéquatement financée par des ressources supplémentaires et prévisibles, afin de répondre aux besoins de tous les pays en développement, en particulier les moins avancés.
Appelez-vous donc à davantage d'aide publique au développement ? Pour le Groupe des 77, l'aide publique au développement devrait prendre la forme d'un appui budgétaire direct et sans conditionnalité aucune. Les mesures de soutien prises au plan international devraient également viser à renforcer les capacités productives dans les pays en développement. A cet égard, la promesse faite à l'Afrique, lors du Sommet du G8 tenu en 2005, d'accroître chaque année le volume de l'aide au développement d'ici à 2010 ne s'est pas encore concrétisée. Aujourd'hui, il est impératif que l'aide publique au développement soit accrue de façon bien plus substantielle et systématique afin d'atteindre l'objectif fixé lors de ce sommet. C'est pourquoi il faut veiller à ce que l'aide publique au développement ne subisse pas de réduction, ce qui contrarierait les efforts de certains pays du Sud dont l'économie repose parfois sur cet apport précieux de ressources. Je pense que la conjoncture financière internationale difficile ne devrait pas délier les pays développés de leurs responsabilités en matière d'aide publique au développement.
Certains estiment pourtant que l'aide au développement inhibe souvent les plus tenaces des volontés et que les dirigeants des pays en développement doivent être davantage responsabilisés quant à l'utilisation de ces aides. Qu'en pensez-vous ? Conformément aux décisions et recommandations adoptées durant la conférence des Nations unies sur le financement du développement qui s'est tenue à Doha (Qatar) en décembre 2008, la priorité devrait être accordée au processus de financement du développement en tant que moyen d'appuyer les pays en développement face aux contraintes financières et commerciales internationales. Il est crucial de bannir en particulier toutes les mesures protectionnistes et de s'assurer que les démarches entreprises pour stimuler la croissance économique dans les pays développés n'accentuent pas davantage le déséquilibre déjà très perceptible avec les pays du Sud. Il faut nécessairement trouver des sources nouvelles de financement afin d'accroître et de compléter les sources traditionnelles d'assistance au développement des pays en voie de développement. Par ailleurs, le manque de cohérence entre les politiques commerciales et le financement du développement doit être corrigé. Comme vous le savez, de nombreux accords financiers et commerciaux bilatéraux et multilatéraux contiennent des dispositions qui limitent la marge de manœuvre des pays en développement dans l'exécution de ces accords. Entretien réalisé par Mohamed-Chérif Lachichi