Puisque tout le monde sait qu'en Algérie aucune école des métiers ne forme des boulangers, nous sommes censés croire sur parole ce haut responsable du ministère du Commerce clamant sur les ondes de la radio nationale que nous avons les meilleurs professionnels du monde en la matière. Argument imparable, les diverses récompenses obtenues par nos boulangers dans des concours internationaux. Même si on ne connaît pas vraiment la nature de ces distinctions et leur nombre, on peut concéder à ce brave directeur central que des boulangers algériens brillent dans ces concours de la meilleure baguette. Même si tout le monde sait que ceux qui nous représentent à ces rencontres sont rarement ceux qui s'échinent quotidiennement entre le four et le pétrin pour fabriquer notre… pain quotidien. Ne parlons même pas de leur nombre. Hier matin sur la Chaîne III, il était question de pain. Plus exactement de «gaspillage du pain». Et la formation - plutôt l'absence de formation - des boulangers était au centre de la discussion parce qu'il paraît que la mauvaise qualité du pain, entre autres raisons, est à l'origine du gaspillage dont tout le monde connaît l'ampleur. Pour un pays qui consomme autant de pain, ne pas former des boulangers est difficile à admettre. Mais puisqu'on se console comme on peut, il n'y a pas que dans ce métier qu'on ne forme pas, nos centres d'apprentissage ayant la réputation de «former des chômeurs». Pour revenir au pain, d'abord ces deux chiffres effarants : 72 millions de baguettes sortent quotidiennement des fours algériens, dont quasiment la moitié va dans le meilleur des cas dans des sacs à part, et dans le pire, carrément dans les poubelles, selon un intervenant qui, soit dit en passant, est en polémique avec le président de l'Union des boulangers sur le classement mondial de l'Algérie pour la consommation du pain : quatrième pour l'un, première pour l'autre ! S'agissant du chiffre de «production» de pain, il faut noter que nos «traditions culinaires», conjuguées à l'indigence alimentaire de la majorité des Algériens, fait que nous consommons beaucoup, énormément de pain. On a beau dire, quand on a plus et mieux à mettre dans son assiette, on finit par oublier le croûton entre deux cuillerées. Et puis le plus important : la baguette subventionnée à près de la… moitié de son prix de revient ! Avec un gouvernement incapable d'imaginer d'autres formes de solidarité avec les plus faibles que la subvention… pour tout le monde, il est normal qu'on se retrouve avec des Algériens de modeste condition qui achètent sans compter le seul produit qu'ils peuvent se payer sans avoir à se ruiner. Au lieu d'assurer aux plus fragiles un complément de revenus qui puissent améliorer leur quotidien dans la dignité, voilà qu'on en fait des prétextes pour un immense gâchis ! Pendant que les milliardaires les plus véreux achètent leur pain au même prix que les laissés sur le carreau, les boulangers «menacent» cycliquement de débrayage, alors qu'en plus des subventions de la farine, ils vendent, dans la vraie vie, la baguette à 10 dinars cédée à 8,50 dans le monde… virtuel ! Bien sûr, la qualité du pain et l'angoisse des fermetures intempestives sont aussi pour quelque chose dans le gaspillage. Mais l'essentiel est ailleurs. Un ailleurs dont on ne veut pas parler. Slimane Laouari