Cela s'est passé l'an dernier à Aïn Benian. Une jeune fille fraîchement débarquée de Londres où elle vit avec ses parents se présente à l'épicerie du quartier de résidence de sa tante qui l'avait accueillie pour quelques jours de vacances au soleil. Belle, souriante et décontractée, elle salue l'épicier et, le plus normalement du monde, lui demande une bouteille de… vin blanc ! Le jeune homme, d'abord pris par l'agréable surprise de voir une cliente si agréable, n'avait pas fait attention à ce qu'elle demandait. Non seulement il n'avait pas bien entendu – avec son français plus que rudimentaire, il n'est jamais sûr de bien comprendre ce qu'on lui dit quand on s'adresse à lui dans cette langue. Alors il regarde encore la jeune fille, discrètement, pour ne pas l'effaroucher. Ce n'est pas toujours qu'il reçoit des créatures si avenantes, et puis, le jeune homme est connu pour ses bonnes manières. Il fait alors répéter à la jeune fille ce qu'elle voulait en s'excusant d'avoir eu «la tête ailleurs», même si en fait, il l'avait… tout près ! Cette fois-ci, il avait très bien compris. Il aurait aimé lui demander de répéter encore mais il ne fallait surtout pas qu'elle le prenne pour un sourd ou pire, pour un ignare qui ne sait pas ce qu'est une bouteille de vin blanc. Alors, il sort de derrière son comptoir et avec son français niveau «derrière l'école», il lui indique le chemin vers La Madrague, tout en lui conseillant de se faire accompagner ou carrément d'envoyer un «mâle» lui chercher ce qu'elle désirait. La demoiselle remercie et prend la direction indiquée par l'épicier, resté médusé sur le seuil de son magasin. Le soir, en racontant à son oncle la gentillesse du jeune homme, elle a eu cette réponse : tu as fait une folie, heureusement que tu n'es pas allé chez l'autre épicier du quartier, il t'aurait carrément lynchée ! Cela s'est passé vendredi dernier, toujours à Aïn Benian. Une autre jeune fille débarque de Paris et s'installe chez ses grands-parents dans le quartier «l'Ilot». Il faisait beau et la petite plage située juste en dessous de la maison est encore déserte. D'abord parce qu'il est encore tôt, ensuite parce qu'à cette période de l'année, en dépit de la précocité de l'été, il n'y a pas beaucoup de monde qui songe à faire trempette, enfin parce que la plage n'est pas connue du grand public et d'une manière générale, il n'y a que les habitants du coin qui s'y baignent. Installée sur la terrasse où elle prenait son petit déjeuner dans un bain de soleil, le regard à l'horizon d'un bleu sans nuance, la jeune fille a été subitement prise d'une folle envie de fouler le sable, d'aller se jeter dans l'eau et d'y rester jusqu'à n'en plus pouvoir. Joignant le mouvement à la pensée, elle pose sa tasse de café, va droit dans la salle de bain, se met en maillot, se saisit d'une serviette et dégringole le petit escalier érodé par l'humidité qui donne directement sur le sable déjà chaud. Elle étale sa serviette, et sans hésitation s'enfonce dans l'écume. Elle n'a plus pensé à rien depuis que l'eau avait entamé une infinie caresse sur sa peau blanchâtre, depuis longtemps orpheline de rayons dorés, de sable chaud et de vagues dansantes. Plus d'une heure après, elle entend un brouhaha indescriptible derrière elle, assez proche pour être entendu, pas assez pour être identifié. Sur la rampe en béton qui sépare la plage de la ruelle étaient agrippés des dizaines d'ados et de jeunes hommes en train de rire et de crier à gorge déployée en la scrutant des yeux. Quelqu'un avait… donné l'alerte dans le quartier : «L'émigrée est en train de nager» en maillot de bain ! Voyant qu'il n'y avait aucune agressivité dans leur attitude, elle a voulu continuer en esquissant un sourire bienveillant. Mais à un moment, elle s'est sentie quand même mal à l'aise de capter tant de regards et de susciter autant de commentaires. Elle sort de l'eau, enroule la serviette autour de sa taille et remonte à la maison, sous le regard déçu de l'assistance qui a certainement trouvé que ce fut trop court.