En plein cœur du quartier de Belouizdad, au deuxième étage d'un immeuble entouré par les étals des marchands ambulants et par l'effervescence et le brouhaha qui caractérisent les rues populaires, se trouve un appartement des plus particuliers. Un foyer d'hébergement de patientes cancéreuses, venues des wilayas de l'intérieur du pays afin de suivre un traitement au Centre Pierre et Marie Curie (CPMC). En ce mardi, Mme Hamida Kettar, la présidente de l'association El Amel et fondatrice de ce centre, prévient : «Les fins de semaine, il n'y a plus grand monde, car elles rentrent chez elles, n'ayant pas de séances de chimiothérapie ou de radiothérapie». En effet, sur les 30 lits disponibles, seule une dizaine de femmes sont présentes, dont trois fillettes et leurs accompagnatrices. Entendant le bruit de voix étrangères venues de l'entrée, une petite déboule dans la salle. Sous le bonnet rose, un regard pétillant d'intelligence et de curiosité. Elle dit, dans un sourire édentée, qu'elle s'appelle M'barka, qu'elle a huit ans et qu'elle vient de Tiaret. Que fait-elle en ces lieux ? «Je suis venue pour me soigner. Mais je m'ennuie une peu, parce qu'il n'y a pas d'autres enfants, mis à part Fella, mais elle ne marche pas, alors on ne peut pas jouer», répond-elle. Nabila, 39 ans, la bénévole qui s'occupe de tout ce beau monde, précise que cela fait 11 jours qu'elle est ici avec sa grand-mère, et que malgré les soins très lourds qu'elle reçoit, la petite reste pleine de vie et d'énergie, et ne sachant ni lire ni écrire, elle ne trouve pas grand-chose à faire de ses journées. «Mais heureusement que les autres malades s'occupent d'elle et l'entourent de tous les soins», ajoute-t-elle, en lançant un regard attendri à la fillette, avant de s'excuser afin de d'achever la préparation du déjeuner. Dans la grande salle, une vaste chambre dotée de neuf lits, de commodes et d'une télévision, discutent trois femmes, non loin d'une autre fillette assoupie, «la» Fella, cinq ans, atteinte d'une tumeur au cerveau. Sa mère et elle viennent de la wilaya de Bordj Bou Arréridj, et résident dans ce centre depuis trois jours. «Je ne connais personne à Alger, et nous avons galéré à maintes reprises avant d'être prises en charge par l'association», avoue-t-elle, les larmes aux yeux. Fella, qui émerge lentement de la matinée infernale qu'elle vient de subir, réajuste le bonnet qui lui couvre la tête, rappelant, dans un rire qui dévoile des fossettes, qu'elle a froid. «C'est toujours comme cela lorsqu'elle rentre d'une séance de soins», s'attendrit la maman, couvant sa fille d'un regard inquiet. «Traitées comme des reines» Comment ont-elles vécu leur installation au milieu d'inconnues ? «Ce n'était pas évident, d'autant plus que j'ai d'autres enfants. Mais nous sommes traitées comme des reines ici, et tout le monde nous met à l'aise», s'enthousiasme-t-elle. Une quinquagénaire habitant à Tipaza, qui vient de subir une ablation du sein, abonde dans ce sens. «Je n'aurais jamais imaginé que des gens aussi généreux existaient encore et Dieu les récompensera de tout le bien qu'ils font. Nous sommes logées, nourries, blanchies, transportées jusqu'au CPMC, et tout ce qu'on nous demande de faire, c'est de nous reposer et de nous rétablir», louent toutes les pensionnaires du foyer, ne tarissant pas d'éloges à l'égard de leurs bienfaiteurs. La cohabitation n'est-elle pas délicate, d'autant plus qu'elles ont bien souvent les nerfs exacerbés par les traitements et toutes les souffrances endurées ? «Cela ne se serait pas aussi bien passé si nous avions été entre sœurs !», s'enthousiasment-elles de concert. «Evidemment, il y a parfois des tensions et des frictions, mais nous sommes une grande famille», affirme quant à elle Nabila, poursuivant : «Quand l'une d'elles va mal, ce sont les autres qui l'entourent et la réconfortent. Il faut dire qu'elles ne s'ennuient jamais, elles papotent, se racontent leurs vies, partagent leurs joies et leurs misères, sortent faire des emplettes et au bout de quelques jours, elles sont toutes inséparables. Ce qui rend les départs très durs à vivre pour elles, et pour nous aussi d'ailleurs», confesse la garde malade. Le déchirement des au-revoir et le stress du retour au bercail… La maladie gagnant souvent le match inégal que ces femmes et enfants livrent, les responsables évitent d'ailleurs de communiquer les rechutes ou les décès de certaines des «sœurs» aux autres pensionnaires. «Nous, qui sommes en bonne santé, sommes dévastés par ces nouvelles. Nous leur épargnons donc des souffrances supplémentaires», dit Nabila, avant de courir au chevet d'une mère de huit enfants, venue de Bouira et soignée pour un cancer du sein. Elle gémit en se tenant le bras gauche. «Cela fait deux jours qu'elle est arrivée, et elle n'est pas très brave», sermonne-t-elle en habillant la malade. «Il faut se comporter le plus normalement possible avec elles, plaisanter et être ferme, sinon, elles perdent tout courage et toute force», se justifie-t-elle. Après avoir contacté le responsable de l'association, Nabila appelle le chauffeur de la navette entre le centre et l'hôpital. «Elle souffre du bras gauche, ce qui n'est pas normal. De ce fait, et pour ne prendre aucun risque, nous l'envoyons chez son médecin traitant pour voir de quoi il retourne», explique-t-elle. Elle épaule la malade jusqu'à la porte, lorsqu'elle se souvient que Rachida doit rentrer chez elle aujourd'hui. Rachida, mère de trois enfants qui sont restés à Oum El Bouaghi, est atteinte d'un cancer de la peau. Cela fait désormais trois mois qu'elle vit dans la maison d'accueil, et son mal nécessite encore trois mois de traitement. «Seulement, il n'y a plus de médicaments, donc je rentre voir mes enfants pour quelques jours. Ils me manquent, mais je ne peux tout de même pas me laisser mourir !», lance-t-elle, entre joie et anxiété. Quelles sont les raisons de cette inquiétude ? Nabila a la réponse. «Elles appréhendent quelque peu de reprendre leur ancienne vie. Après avoir passé des semaines voire des mois dans le calme le plus absolu et à n'effectuer aucune tâche. Là-bas, elles retrouvent leur mari, leurs enfants, leur rythme de vie et tout le stress, l'énervement et la fatigue qui en découlent», confie-t-elle. Après voir souhaité bon rétablissement et, surtout, bon courage à toutes les pensionnaires, Rachida referme la porte de ce havre de paix pour femmes et enfants, où tout leur est offert gracieusement dans un seul but. Aider les malades à ne se concentrer que sur une seule chose : leur rémission et leur guérison.