Le toit du domicile de Kerrouche Abdelkader s'est complètement effondré. Il n'a pu résister aux fortes secousses telluriques qui ont ébranlé plusieurs quartiers de la commune de Sidi M'hamed. En l'espace de quelques secondes, sa demeure est devenue méconnaissable. De la serrure de sa porte, on constate de visu le désastre qu'a subi sa maison…ou du moins de ce qu'il en reste. Des éclats de pierre, de plâtre, de sable et des morceaux de bois couvrent le sol de ce qui était auparavant son salon. Depuis le séisme de mercredi dernier, son foyer s'est assombri. Le cœur n'y est plus. Abdelkader décide de fuir ce spectacle désolant. Il ne sait plus à quel saint se vouer. 12, Rue des Libérés, Place du 1er Mai "Que Bouteflika vienne nous voir !” L'immeuble de deux étages auquel appartient son logement date de presque un siècle. Sa façade avant se découvre au gré de la lueur du jour. Elle n'arrive plus à cacher ses tares. Des quatre murs qui la composent, apparaissent la matière première, à savoir la chaux hydraulique et la pierre. Cette vétuste bâtisse se trouve dans un état de décrépitude dangereux. Elle risque de s'écrouler à n'importe quel moment. Cette habitation qui brille de la dégradation de son aspect extérieur, quel serait son état intérieur ? Le topo est encore pire dans les pièces. Mme Bousbha, la quarantaine, nous invite, notre photographe et moi, à emprunter une espèce d'escalier (si l'on peut appeler cela ainsi ) menant vers…son appartement pour partager avec elle le péril qui l'accompagne tous les jours que Dieu fait dans ses différents mouvements. Au premier pas effectué pour franchir le seuil de sa porte, la voisine intervient à brûle- pourpoint : " faites attention, ne marchez pas au-dessus de cet endroit, il y a un trou énorme qui risque de faire basculer le tout ", avertit-elle. Les quelques pas entamés vers l'intérieur provoquent des vibrations importantes sur le vieil édifice. Le parterre de ce living s'est incliné. Les murs présentent de grosses fissures. Point de piliers pour contenir le poids de cette périlleuse " carcasse ". L'appart d'à côté est tout simplement fermé. “Très touchée par le séisme, cette maison représente un danger réel pour nous ", confiera Mme Bousbha. Se faisant l'avocate des 7 familles nombreuses qui vivotent dans cette baraque de fortune, elle invite le premier magistrat du pays à leur rendre visite: “Que Bouteflika vienne voir dans quelles conditions nous vivons !” Les services du CTC, eux par contre, se sont déplacés vers le 12 rue des Libérés, sis à la place du 1er Mai. Grande fut la surprise des locataires quand ils ont entendu la conclusion des techniciens du contrôle. " Il n'y a aucun danger, nous allons vous retaper les quelques fissures et chacun de vous rejoindra aussitôt son domicile ", déclarent à l'unanimité les habitants du 12 rue des Libérés, en paraphrasant les dires des experts du CTC. M. Kerrouche ne l'entend pas de cette oreille. Il brandit un document qui lui a été adressé et signé par un chef d'unité de l'OPGI de Hussein-Dey dans lequel il est mentionné d'une manière claire: “Suite à une deuxième visite pour étudier la faisabilité des travaux de réhabilitation du plancher de votre logement, nous avons le regret de vous informer que, compte tenu de l'état de dégradation très avancé de l'immeuble, cette opération ne peut se faire sans l'évacuation de la totalité des occupants pour éviter d'éventuels accidents que peuvent engendrer des effondrements probables … " Et pour illustrer l'ampleur des dégâts, ce responsable de l'OPGI, soulignera dans le même document : " le coût de la réhabilitation sera excessif ", et d'ajouter en guise de conclusion : " Nous vous suggérons de vous rapprocher des services de recasement de l'APC pour une prise en charge de votre cas". Cette ancienne bâtisse fait face à une autre flambant neuve de 5 étages. Cet immeuble contenant environ 12 appartements appartient à un privé qui l'a fermé depuis des années. Les pouvoirs publics peuvent bien faire un geste pour ces laissés-pour-compte ? Hélas, non. Les nombreuses démarches entreprises par ces véritables sinistrés auprès des responsables locaux, se sont avérées vaines. Ils demandent aux dirigeants du pays de leur démolir cette demeure avant qu'elle ne soit leur …dernière. "Nous sommes prêts à attendre que l'on nous construise un autre immeuble pour peu qu'ils tiennent leur promesse… ", avouent-ils. Du côté de Belouizdad, la même crainte persiste chez ces nombreux habitants d'immeubles touchés par les secousses. Désappointés, ils ne savent ni quoi faire ni à qui s'adresser. Les 4e et 5e étages de l'immeuble sis au 162 rue Belouizdad, près de la bibliothèque d'El-Hamma, sont dans un état lamentable. Rue Belouizdad : Les méfaits du séisme Ses occupants ont plié bagages pour se rasséréner mutuellement dans un camp improvisé au CEM Abderahmane-Ahmine où s'entasse près d'une quarantaine de familles. Une partie considérable de l'appartement situé au 5e étage, s'est entièrement effondrée en emportant avec elle une partie de la terrasse. L'immeuble avoisinant n'est pas mieux loti. Sis au 1, Rue Saïd- Sellami, El-Hamma, sa terrasse ne tient qu'à un fil. Les éléments du CTC leur ont demandé d'évacuer les lieux sans apporter la moindre précision. Sur les hauteurs de la rue Belouizdad, le boulevard Cervantès s'est senti tout seul et livré à lui-même après le départ forcé de ses habitants. Sinistrés de Cervantès, de Lâaquiba, de la Carrière… CEM Douar, le refuge Le vacarme qu'imposait il y a à peine une dizaine de jours la circulation des voitures et les cris des bambins sortant des écoles, a cédé la place à un silence assourdissant. Appréhension d'une éventuelle réplique d'une magnitude importante, la peur au ventre, les résidents de Cervantès optent pour le CEM Mohamed-Douar afin d'apaiser leur effroi. Les deux établissements accueillent plus de 220 familles. Ce sont les sinistrés de Cervantès, de l'endroit dit Carrière , de Lâaquiba , qui squattent provisoirement les salles occupées depuis une dizaine de jours de cela, par les Adam, Farid, Nassim et leurs camarades, rencontrés lundi sur le boulevard. Une certaine frange de cette population, indique Abderahmane, est étrangère à la commune. " Nous avons assisté à des scènes où des responsables locaux ramènent des personnes et les placent dans des classes au su et au vu de tous”, affirme un des organisateurs de ce regroupement. "Les habitants, déjà transférés, ont chargé leurs proches pour réoccuper leurs bâtisses qui n'ont pas été détruites. Ainsi, ils bénéficieront d'un autre recasement” , explique-t-il. En attendant que les services de l'APC réagissent, ils prennent leur mal en patience. Leurs voisins sont endurcis par les trois longues années passées dans le centre de transit à attendre des lendemains meilleurs. À leur triste sort, point de nouvelles depuis qu'ils y ont mis les pieds. Le provisoire n'a que trop duré… B. K.