Lorsque l'on revoit Ahmed Rachedi, après de nombreuses années, on pense que le temps n'a pas eu de prise sur lui. Toujours aussi svelte et dynamique, l'homme a gardé cette sagesse, cette réserve et cette modestie propre aux hommes de valeur. Dans cet entretien qu'il nous a accordé, il évoque avec passion sa profession, dure, mais captivante. Malgré les multiples difficultés liées à la situation du cinéma en Algérie, il ne troquera jamais son métier de réalisateur. Artiste et faiseur de rêves, s'écartera-t-il de ce domaine artistique ? Assurément jamais ! Ses grandes œuvres célèbres qui ont jalonné la trajectoire du cinéma algérien plaident pour son travail de haute facture et son professionnalisme. Pondéré et avec beaucoup d'urbanité, il discourt du septième art comme un challenge à réaliser faute de moyens idoines. Mettant l'accent sur les films historiques qui sont indispensables aux jeunes qui ignorent leur histoire et leurs référents culturels et identitaires, Ahmed Rachedi rappelle leur nécessité s'inscrivant en priorité. Il a pour devise cette citation d'un auteur «L'homme est le reflet de son passé». La méconnaissance de notre histoire permet-elle aux jeunes d'aujourd'hui de s'enorgueillir de leur pays. Ces interrogations interpellent ce cinéaste soucieux de préserver et de sauvegarder des pans de notre mémoire collective. Grisé par un passé glorieux, il veut le vivifier à travers des œuvres de fiction tirées de la réalité par le biais des personnages historiques qui ont marqué de leur bravoure de belles pages d'histoire. Ambitionnant de faire des films intimistes, il cède la place aux priorités et contingences du moment. Dans cet entretien, le réalisateur chevronné a des propos sensés et sincères… à son image. Le Tempsd'Algérie : Pouvez-vous nous parler de votre production Ben Boulaïd, le lion d'Algérie? Ahmed Rachedi : Le film sur Mustapha Ben Boulaïd est un long métrage fiction sur l'histoire, la vie et le parcours de ce héros qui reste un des déclencheurs de la révolution de Novembre 54, et un des piliers de la Guerre de Libération nationale. Son histoire est longue à raconter, et c'est la première fois que l'on fait un film sur un personnage de la guerre, et de l'histoire du pays, alors que jusqu'à présent, on a fait des œuvres avec comme seul héros le peuple. On avait besoin d'un guide qui organise et réfléchit, et un de ces hommes, c'est Mustapha Ben Boulaïd. Comme vous le savez, le rôle principal est campé par Hassan Khechach et celui de Larbi Ben M'hidi par Khaled Benaïssa. Il y a lieu de rappeler que c'est une production du ministère des Moudjahiddine en collaboration avec la société Mycène Balkis. Quand on m'a fait appel, je préparais un feuilleton sur Ibn Khaldoun en Syrie. J'ai laissé tomber ce projet ; et je suis rentré, car c'était une priorité pour moi et une opportunité. C'est un film qui a reçu une aide considérable du ministère de la Défense en avions et en blindés. Ce sont les plus grands moyens mis à la disposition d'un film. Dans le cadre de la manifestation «Alger capitale de la culture arabe 2007», cette production a bénéficié d'une contribution du Centre national cinématographique (CNC). Quelles sont les difficultés rencontrées lors du tournage ? Il n'y a pas eu particulièrement de difficultés ; on a eu un accident du premier rôle du personnage héros qui s'est cassé le col du fémur dans une scène de tournage ; ce qui a mis à l'arrêt pour cinq mois le tournage, lequel a duré douze mois (les cinq inclus) particulièrement à Alger, Oran, et dans les Aurès. Ce film étant sous la férule du président de la République, on a bénéficié de l'aide des autorités locales et d'un soutien important de la population des Aurès. Les citoyens ont montré leur enthousiasme tout en estimant que c'était un honneur de prêter leurs maisons ou habits pour les besoins du film sans vouloir être rémunérés. Votre avis sur les films réalisés par des Algériens, mais financés par des étrangers... Peut-on les qualifier d'algériens ?Il y a un grand débat sur la nationalité du film. En France, en Algérie et au Maghreb, le film prend la nationalité du réalisateur. C'est le contenu qui détermine la nationalité plus que l'argent et le pays de la maison de production. Si l'on prend l'exemple du film Indigènes, il est français dans son contenu. Les diverses consécrations de films montrent-elles réellement les valeurs artistiques, techniques et esthétiques du film ou répondent-elles à une vision politique ? Jamais à une vision politique. Les membres du jury ne jugent pas un film selon le critère politique, mais seulement sur la qualité du film par rapport à la sélection présente au festival. Certes, il peut y avoir des partis pris puisqu'ils votent. Même si les jurys et cinéastes prennent en considération le contexte mondial, cela peut influencer mais ce n'est pas un facteur déterminant. Ayant participé à une cinquantaine de jurys, je n'ai pas souvenance d'un cas où le contexte politique ou conflictuel a influé sur les consécrations. Si l'on prend l'exemple en 2007, les membres du jury du Festival du Caire ont primé trois fois le film français Ennemis intimes, cela ne correspond à aucun contexte particulier. Il a été jugé selon ses qualités intrinsèques. Le fait d'être primé lors des festivals internationaux comme Cannes, Berlin, la Mostra de Venise, le Fespaco de Ouagadougou, peut-on affirmer que c'est une œuvre cinématographique de qualité qui aura une grande audience ? Cela aide à la diffusion du film en plus de la compétition qui est secondaire. Ce film attire un nombre considérable de journalistes qui écrivent sur les films primés ; quelquefois, le fait d'être primé permet une meilleure promotion de l'œuvre. Les mentions qui sont portées sur le générique du film suscitent l'intérêt du spectateur. Pourquoi depuis le film Chronique des années de braise de Lakhdar Hamina qui a eu la palme d'or à Cannes en 1969, il n'y a presque plus de films algériens primés ? Je vous répondrai : pourquoi en vingt-six ans, le cinéma français n'a pas eu de prix à Cannes, et pourquoi le cinéma américain n'a rien eu en quinze ans. Il n'y a pas eu de grands films algériens aptes à aller en compétition à Cannes il n'y a pratiquement pas eu de productions depuis plus de dix ans. On fait des films avec des bouts de ficelle ; on enregistre trois raisons au manque de productions en Algérie, à savoir l'absence de mécanismes permanents d'aide à la production, la carence du circuit de distribution (sur les 500 salles à l'échelle nationale, il n'en reste que 40) et le manque de connexions entre les générations de cinéastes, les anciens et les nouveaux. Entre eux, on a constaté une rupture ; il n'y a pas eu de bénéfice d'expériences. Auparavant, le cinéma algérien avait des organismes dont le CAAIC, L'ANAF et L'ENPA qui aidaient la production cinématographique ; suite à leurs dissolutions, seul l'ENTV concède des aides pour produire. Le cinéma pourra revivre, si on lui donne les moyens adéquats. A quoi est due la réussite d'un film ? Elle est tributaire d'un scénario bien ficelé. Avec un bon scénario, on a plus de facilités à avoir des moyens pécuniaires. Chez nous, chaque film est de l'artisanat avec un mauvais scénario ; il faut comprendre le cinéaste qui, n'ayant pas tourné depuis des années, saisit l'occasion de faire un film. A mon avis, c'est une erreur, car cela donne des films inaboutis ; et ils sont toujours déçus. Quels conseils donneriez-vous en tant que cinéaste ? J'ai rencontré lors du Festival du Caire le grand réalisateur Elia Kazan qui m'a donné trois conseils : si tu as un film à présenter à un producteur, il faut le résumer en trois phrases, et si tu suscites l'intérêt du vis-à-vis au bout de la troisième phrase, tu peux continuer ton projet. Si tu veux faire carrière dans le cinéma, il faut savoir attendre ; c'est une vertu cardinale; il y a lieu d'attendre aussi le bon sujet. Si tu peux faire autre chose que le septième art, laisse tomber le cinéma. Qu'auriez-vous fait, mis à part le métier de réalisateur ? J'aurais fais musicien ou artiste peintre ; d'ailleurs, ayant suivi le cursus scolaire aux Beaux-Arts de Paris, je peins des toiles pour mon plaisir personnel, et c'est par pur hasard que j'ai versé dans le domaine du cinéma. Le septième art se fait dans la foule, et comme je suis timide, le fait de tourner dans la rue m'embête énormément. Quel est votre souhait ? J'aimerais faire des films plus intimistes et drôles. J'ai beaucoup de projets, mais je suis appelé à faire des films en priorité ; je préfère réaliser un long métrage sur Massinissa ou Krim Belkacem ; cela permet de créer une mythologie qui donne des référents à ces nouvelles générations qui ne connaissent pas leur histoire, laquelle constitue les éléments de leur identité. Entretien réalisé par Kheira Attouche