Le Temps d'Algérie : En tant qu'économiste, quel regard portez-vous sur la fraude et l'évasion fiscale en Algérie ? Dr Abderrahmane Mebtoul : Le problème de la fraude fiscale est intimement lié à la sphère informelle qui représente actuellement 40% de la masse monétaire en circulation. Ce sont là les données de la Banque d'Algérie. Je m'en tiendrai à ce chiffre officiel pour vous donner ma vision des choses. Lorsque le président de la République avait invité, il y a plus de 2 ans, les plus grands spécialistes de la sphère informelle, ils ont laissé une analyse à la présidence et au ministère de l'Energie sur l'origine de la corruption, de la sphère informelle et de l'évasion fiscale. La sphère informelle est le produit de la bureaucratie. Elle fonctionne dans un Etat de non-droit. Cela renvoie même à plus de citoyenneté parce qu'on ne peut pas construire un Etat de droit et une économie de marché avec une telle importance de la sphère informelle. D'ailleurs, l'un des points d'achoppement du dossier de l'adhésion de l'Algérie à l'OMC est relatif à cette sphère informelle. Le problème de transfert des capitaux à l'étranger reste calculable. J'ai fait mes propres calculs à travers la balance de payement de 1972 à 2007 pour le transfert de capitaux, d'une manière légale je précise, et j'ai constaté qu'ils fluctuent en fonction des taux de change. Tout cela est un manque à gagner pour l'Etat. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on ne combat pas l'informel avec seulement des actes administratifs. L'informel doit être intégré par la mise en place de mécanismes transparents. Car cette sphère décourage aussi bien les investisseurs étrangers qui sont porteurs d'une valeur ajoutée, que nationaux, qui se réfugient dans des investissements à court terme. Donc, s'il y a une très grande pression fiscale sur la sphère réelle, il est tout à fait prévisible que les gens rejoignent de plus en plus la sphère informelle. Je citerai comme exemple des entreprises à Oran ou à Ouled Fayet qui ont abandonné les activités productives pour se réfugier dans le commerce informel. D'où l'importance des instructions du président de la République pour la construction de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance. Il faut une vision globale de la démarche de la politique économique qui doit avoir une visibilité dans la démarche et surtout une solide cohérence. D'ailleurs, dans son programme, le chef de l'Etat a mis en avance la nécessité de combattre toute forme de fraude… C'est ça. En économie, on dit que plus il y a progressivité de l'impôt direct, plus ça traduit un signe de citoyenneté. La facilité pour un gouvernement qui ne maîtrise pas les mécanismes de régulation, c'est d'aller vers des impôts indirects. Or les impôts indirects sont source d'injustice sociale. Parce que et le riche et le pauvre subissent les mêmes effets, tandis que la progressivité de l'impôt direct traduit comme je vous l'ai dit un signe de citoyenneté. La Tunisie par exemple a pris une mesure intelligente. Les centaines de jeunes qui font de l'import-export sont soumis à une taxe appelée «taxe sur la valise». Quand il paye ses impôts à la douane, le jeune se sent citoyen. Le but de cette taxe est d'intégrer ces centaines de milliers de jeunes dans le commerce formel. Un exemple à méditer chez nous en attendant la relance effective de la machine économique du pays, dont 75% des recettes fiscales proviennent des hydrocarbures. De par le monde, surtout les Etats qui ne produisent pas de pétrole vivent grâce à la fiscalité. Lorsqu'on ne paye pas ses impôts, on ne vole pas simplement l'Etat, on vole tous les citoyens, toute la collectivité! Justement, qu'en est-il des entreprises qui ne paient pas leurs impôts, n'assurent pas leurs employés… ? Ça, c'est le problème de la sphère globale de l'économie. C'est-à-dire, si demain vous mettez une pression fiscale sur ces gens-là, qui effectivement fraudent en ne déclarant pas leurs employés, ils verseront dans la sphère informelle. C'est vrai que ces entrepreneurs qui ne paient pas, qui ne font pas de déclarations, représentent un problème, mais le véritable fléau, c'est le commerce informel qu'il faut absolument intégrer.