«Un jour, j'étais en mission à Bruxelles, il pleuvait, il faisait gris. J'ai ressenti alors un véritable coup de blues. J'ai mis un CD d'Oum Keltoum, je me suis mis en face de la fenêtre et apprécié Alf Lila wa Lila et une autre chanson puis une autre... ça m'a fait du bien», affirme Hazem, un jeune cadre égyptien. Oum Keltoum, c'est l'âme de Misr, elle vous fait sentir les odeurs du pays.Hazem a grandi aux sons de Amiret Tarab. Jusqu'à aujourd'hui, ses parents observent le même rituel : chaque soir à 18h, ils tournent le bouton de leur radio pour savourer ses tubes, ils appellent ça «l'heure d'Oum Keltoum». De son vivant, à chacune de ses apparitions, c'était un jour de fête dans l'ensemble du pays. Le premier jeudi du mois, les familles se rassemblaient, les cafés étaient inondés de ses fans, certains s'habillaient de neuf pour l'écouter chanter. En cette occasion, et à chaque récital, elle se faisait un honneur de se présenter devant son public avec une nouvelle chanson. Des chansons indémodables Ami Roumi est plus âgé que Hazem, son bus nous emmène de Aïn Soukhna au Caire. Le long des 130 km qui séparent les deux villes, la même cassette tourne en boucle aux sons d'Oum Keltoum, Abdelhalim et Abdelwahab. Pour lui, c'était les meilleurs et ils le seront à jamais, les autres chanteurs ne font pas le poids. On a l'impression que même son lecteur de cassette est programmé pour refuser tous autres mots ou soupirs autres que ceux de Kawkab al Sharq ou El Andalib El Asmar. Mohamed pense que si leurs chansons restent indémodables et très écoutées par les jeunes comme les moins jeunes, c'est en partie en raison d'un dénominateur commun, «l'amour». Les anciens ne cessent de l'écouter pour vivre leurs souvenirs alors que les jeunes se tournent vers ces chansons dès qu'ils ressentent les premiers sentiments d'amour. Les références sont Inta Omri, Alf Lila Wa Lila, Sirt el houb, Awedt Ayni, Ansak , Lilat Hob et d'innombrables textes aussi beaux les uns que les autres et si pleins d'émotions. Au Caire comme à Alexandrie, et nous a-t-on dit, à travers toute l'Egypte, des cafés ont fleuri à la gloire de l'«astre de l'Orient». L'enseigne portant le nom de la diva ne laisse aucune équivoque sur ces lieux. Les clients savent qu'ils peuvent venir siroter un thé, un café ou une «chicha» tout en se délectant exclusivement des chansons d'El Sitt. Sa prestance sur scène, foulard blanc à la main, sa voix chaude, ses intonations, ses improvisations se reflètent dans les yeux de ces inconditionnels d'el tarab. Elle illumine toujours l'Egypte Oum Keltoum avait un timbre exceptionnel et les cœurs tremblaient à chaque souffle qui sortait de cette poitrine. Ses chansons d'amour n'étaient pas les seules à marquer les auditeurs, il y avait également ses chansons patriotiques. Ces dernières exprimaient son engagement pour son pays et des projets du raïs, Djamel Abdenasser. Elle a tenu à verser la recette de sa prestation à l'Olympia en 1967, lors de sa seule apparition à l'étranger, dans les caisses de l'Etat, juste après la défaite de la guerre des six jours contre Israël. Oum Keltoum est restée vivante dans les mémoires, son aura illumine toujours le ciel et les «harate» d'Egypte. Ses empreintes attisent encore le noble sentiment d'amour au pays des pharaons. Au-delà certainement, car Oum Keltoum appartient à une époque, à une histoire sur lesquelles les frontières n'ont pas d'influence.Dans Baed Anak (loin de toi), elle chantait : «Loin de toi, ma vie est une torture.» Les Egyptiens ne veulent pas subir cette torture et ne comptent pas s'éloigner d'Oum Keltoum, l'âme de l'Egypte.