Si l'homme se présente avec autant d'humilité et d'affabilité, il reste pointilleux et scrupuleux en matière de sauvegarde du patrimoine. Lorsqu'il discourt avec passion et ardeur de ce domaine, M. Zekagh désapprouve cet état d'abandon de ce secteur depuis des décennies. Par sa fonction d'architecte restaurateur, il interpelle ces vestiges. Interrogeant ses demeures et monuments, il revisite et renoue avec ce passé glorieux et prestigieux légué par atavisme. Son souci de préservation et de réhabilitation se traduit dans son travail de restaurateur de ces vieilles bâtisses. Toutefois, il déplore l'état de dégradation et de délabrement avancé. Ayant comme préoccupation cardinale, la restauration de ces demeures palatiales qui ont fait la grandeur et le faste de cette cité, M. Abdelwahab Zekagh s'investit à fond pour qu'elle retrouvent leur lustre d'antan. Précis et méticuleux, cet architecte a suivi de près les travaux de La Casbah, ce quartier si pittoresque qui a subi l'usure du temps et le laxisme des hommes. Dans cet entretien, il dévoile avec détails les mesures idoines pour conforter les 180 bâtisses sur les 358 délabrées de ce quartier. Il ressort que les coûts sont faramineux sachant que pour les travaux de sauvetage d'extrême urgence, ce sont 640 millions de dinars engloutis. C'est dire toute l'ampleur et la portée de restauration de La Casbah ! Ame de la cité, il reste impératif de la réhabiliter. Cette restauration de La Casbah suit son cours avec persévérance parfois en dents de scie, mais l'essentiel, c'est de préserver ce patrimoine architectural. Le manque d'architectes restaurateurs s'explique-t-il par la marginalisation du secteur du patrimoine depuis l'indépendance ? Effectivement, on peut dire que la marginalisation du secteur de la culture en général, des sites et monuments historiques de l'indépendance à 1998, et enfin de cette dernière date à nos jours est pour quelque chose dans le manque flagrant d'architectes restaurateurs. Cependant, il faut dire que l'Université algérienne ne s'est pas non plus penchée sur cet aspect, la spécialité n'existait pas. Ce n'est qu'à partir des années 1990 que l'Ecole d'architecture d'El Harrach a initié, avec l'aide de la coopération algéro-italienne, une formation post graduée en préservation des sites et monuments historiques ; une formation qui devrait être donnée déjà dans le cursus de la graduation de cette école. Plus encore les prémices de cette formation devraient être donnés déjà au lycée, et pour appuyer le tout le secteur de la formation professionnelle n'a, quant à lui, pas former les artisans nécessaires à la restauration du patrimoine. Il est grand temps qu'il le face. Mais il faut dire que l'Algérie a envoyé pour une formation de ce type plus de 26 architectes en Italie depuis 1980 ,11 en sont revenus et seuls 6 se trouvent sur le territoire national aujourd'hui. Ces derniers ont été marginalisés depuis leurs retours jusqu'à l'avènement de la loi cadre 98-04 ; et ils n'ont pris de l'exercice que depuis 2004, grâce au décret de 2003 portant maîtrise d'œuvre des opérations de restauration, promulgué par la chefferie du gouvernement sur proposition de Madame la ministre de la Culture. A ces 6 architectes restaurateurs s'ajoutent une quarantaine de jeunes architectes ayant un magister en préservation des sites et monuments historiques formés par la coopération italienne de 1991 à 1995 et les architectes restaurateurs formés en Italie de 1980 à 1989. Ce nombre de 48 architectes habilités par le ministère de la Culture reste bien évidement bien en-deçà des besoins du secteur. Il est grand temps que l'Université algérienne forme des architectes spécialisés dans ce domaine et que le ministère de la Culture, qui a mis en place un programme de formation à travers la création d'une école du patrimoine, accélère sa mise en fonction. Vous vous occupez également de la restauration de La Casbah. Quel est l'état d'avancement des travaux ? Le coût de cette opération ? Restaurez-vous par îlots ? Combien ? Pour ce qui est de la sauvegarde de La Casbah d'Alger, depuis l'avènement du décret de 2003 portant sur l'élaboration des plans permanents de sauvegarde des secteurs sauvegardés, et le nouveau décret de 2005 portant délimitation du nouveau secteur de La Casbah. Le projet du plan permanent de sauvegarde de La Casbah d'Alger, mené par le bureau d'études Centre national des études et recherches en urbanisme (CNERU ), sous ma direction en tant que chef de projet, depuis janvier 2007 connaît un état d'avancement appréciable. Cette étude, ayant pris au départ une rétrospective de l'ensemble des travaux élaborés sur ce site depuis l'indépendance par différents bureaux d'études et acteurs gestionnaires, a pu déceler les erreurs commises dans la gestion de ce bien classé patrimoine national et mondial. L'intitulé de l'étude, «Mise en conformité du plan permanent de sauvegarde» arrêté à la commande de ce travail s'est avéré incongru au vu du contenu du décret exécutif n°03-324 du 5 octobre 2003 portant mise en œuvre des plans permanents de sauvegarde et de mise en valeur ; et face aussi bien à la complexité du travail qu'au dépassement des enquêtes de la première étude (98/2003). En effet, l'absence de textes juridiques appropriés, le manque de ressources humaines spécialisées et de coordination entre les différentes parties gestionnaires des lieux, aggravés par la nature juridique des propriétés (en grande partie privées), a fait que tous les efforts fournis n'ont pu trouver de résultats probants. Tout en permettant un développement harmonieux et ambitieux du centre historique en cohérence avec les instruments d'urbanisme appliqués au reste de la ville, ce plan permanent de sauvegarde est considéré comme étant, plus qu'un outil de protection et de préservation des valeurs historiques et archéologiques, un outil de gestion du secteur sauvegardé n'excluant pas la création architecturale dans le respect de l'ancien. Au vu de l'état fortement dégradé de La Casbah, accentué, notamment, par les périls qui pèsent sur la vie des personnes (usagers et passagers) et sur l'intégrité du patrimoine bâti, cette première phase appelée «Diagnostics et projet des mesures d'urgence» s'est imposée et reste primordiale pour la réussite du plan PPSMVSS. Ce plan d'urgence basé sur des enquêtes sur tout le secteur sauvegardé relate l'état de conservation du bien patrimonial, et vise à arrêter le processus de dégradation naturel et anthropique en identifiant tous les phénomènes ayant contribué à cette déperdition . Ces actions de mesures d'urgence visant à arrêter le processus de dégradation afin de pouvoir approfondir et achever les autres phases de l'étude se rapportant au projet du plan de sauvegarde sont de type conservatoires destinées à stabiliser le tissu dans ses deux dimensions physiques et humaines avec des actions d'étayement intérieur et extérieur des constructions, de réparation et de curage des fuites, d'évacuation des déblais et gravats, de sécurisation des réseaux énergétiques tout en assurant l'alimentation, de renforcement du nettoiement et de la collecte des ordures , de transfert provisoire de population (opération tiroir), et d'éradication des constructions illicites et précaires. Les constructions précaires et les bidonvilles qui ont occupé les vides provoqués par les effondrements de bâtisses constituent une des priorités majeures. Après diverses concertations et approbations par les autorités locales et le maître d'ouvrage, la mise en œuvre de ces actions a débuté dès le mois de janvier de l'année 2008. Cette dernière a été précédée par la mise en place d'un plan méthode définissant les taches de chaque intervenant et l'organisation des chantiers. Cela a donné lieu à un découpage du secteur sauvegardé en 17 îlots d'environ 20 à 30 bâtisses, et au choix de 20 bureaux d'études (dirigés tel que le stipule les nouveaux textes, par des architectes restaurateurs qualifiés par le ministère de la Culture) dont 3 choisis pour les interventions d'urgence sur les monuments majeurs (mosquée Ketchaoua, mosquée Djemaâ Edjedid, Chambre de commerce). Ce diagnostic approfondi touche également la consistance des ouvrages en sous-sol matérialisés par l'existence de djebs (réservoir des eaux de pluie servant aux tâches domestiques) et de puits au nombre très important. Il a été constaté que la non-maîtrise de ces eaux souterraines ajoutée à la déclivité du terrain sont en grande partie à l'origine de la déstabilisation de ces constructions. Il en est de même pour les réseaux extérieurs d'eau potable et d'assainissement, qui présentent des fuites relatives situées aux interconnections entre réseaux de différentes époques. Tous ces bureaux d'études font partie d'un organe de coordination dirigé par la Direction de la culture et le chef de projet du plan de sauvegarde, assistés par des représentants différents secteurs, à l'échelle locale, ayant un relation avec la gestion du site. Pour la réalisation de ces travaux, il a été fait appel à 107 entreprises plus ou moins spécialisées avec des artisans ayant une expérience relative du site. Les travaux en cours ont fait que sur les 358 bâtisses en état de dégradation extrême, à nos jours, 180 d'entres elles ont étés étayées ou confortées et mises hors d'eau ; ces travaux ont concerné également le nettoyage des djebs et des puits, ainsi que le curage des réseaux hydrauliques intérieurs des maisons. Pour le reste des bâtisses, dont les travaux accusent un retard, au vu des difficultés d'accès, elles nécessitent le relogement provisoire de leurs habitants. L'intervention sur les réseaux extérieurs et des voiries est assurée par les services départementaux concernés. Dans l'attente de la mise en place d'un organe propre pour la gestion du secteur sauvegardé, la direction de la culture, maître de l'ouvrage délégué de l'opération, n'ayant pas pour le moment d'encadrement nécessaire pour le suivi de ces travaux d'urgence, a contracté une assistance technique avec le bureau d'études CNERU chargé du plan pour assurer le contrôle de toutes ces opérations. Ces rapports font état de l'avancement des travaux, du contrôle des études fournies par les 17 bureaux d'études, du traitement des dossiers d'autorisation de travaux liés au site, de l'établissement de canevas permettant le bon déroulement des études et des travaux. La conservation de ce patrimoine universel étant une des préoccupations majeures de l'Etat algérien a fait l'objet d'un conseil interministériel, à l'occasion de la présentation de cette première phase , qui a pris des décisions importantes pour la préservation du secteur sauvegardé , dont la préservation du patrimoine et la sauvegarde des bâtisses en péril, le renforcement des actions de sécurité et d'ordre public, le relogement des familles dont les habitations menacent ruine et la mise en place des fonts nécessaires demandés pour les actions de protection de ce patrimoine. En matière de coût des études du plan permanent de sauvegarde et de mise en œuvre de la première phase des mesures d'urgence (qui ne touche que les travaux de sauvetage d'extrême urgence), l'enveloppe a atteint les 640 millions de dinars (représentant les conventions engagées).