La ministre de l'Education a-t-elle finalement réussi son «épreuve» devant le Premier ministre, s'agissant de son maintien ou non à la tête de son secteur, dans le sillage du guetapens idéologique que lui ont tendu certains milieux conservateurs ? Jeudi à Constantine, Mme Benghebrit ne s'était en tout cas pas sentie seule... Toute l'Algérie était scotchée jeudi, à Constantine, aux lèvres de Abdelmalek Sellal qui allait prononcer la sentence. Et pour cause, la tête de Mme Benghebrit est mise à prix depuis près d'un mois au prétexte - fallacieux au demeurant - qu'elle voudrait botter en touche la langue arabe au profit du dialectal (darija). Beaucoup de partis et de personnalités islamo-conservateurs se sont empressés de lire l'oraison funèbre, appuyés par un attelage médiatique de la même obédience dans une sorte de «sainte alliance». Mais qu'a décidé le professeur Sellal après avoir examiné soigneusement les copies ? La question a curieusement divisé les commentateurs de la presse nationale entre ceux qui ont cru entendre un lâchage en bonne et due forme de la ministre, et ceux qui y ont vu plutôt un soutien presque franc. Il faut peut- être s'arrêter à l'image déjà fort symbolique du Premier ministre, flanqué de Mme Benghebrit à sa droite. On n'invite pas un responsable encombrant à ses côtés devant les caméras de télévisions et les flashs des photographes. Force est de constater que Benghebrit n'affichait pas une posture de femme lâchée, jeudi, à Constantine. Ne serait-ce qu'à travers la sémiologie de l'image, il est difficile de conclure que Mme la ministre a perdu le soutien de son chef, bien au contraire. Aussi, les quelques petites phrases concédées par Sellal à propos de cette tempête sur l'usage de la langue maternelle plaident-elles en faveur de la ministre de l'Education, bien qu'on perçût chez le Premier ministre la volonté de plaire à tout le monde.
La symbolique d'une image En rappelant que la langue arabe est une «référence constitutionnelle, civilisationnelle et culturelle et un principe tranché de manière définitive», il a voulu rassurer ceux qui sont montés sur leurs grands chevaux pour défendre une langue déjà bien protégée par le marbre de la Constitution. Sellal semblait vouloir tirer le tapis sous les pieds des islamistes et de certains baâthistes qui ont exploité la brèche de l'enseignement de la langue maternelle pour remonter au front contre la personne de Mme Benghebrit. Et comme pour enfoncer le clou, il rappellera utilement que tamazight jouit de la même protection, suggérant ainsi que cette langue, pourtant nationale, ne fait pas réagir autant de supporters… Sellal a donc rassuré ces milieux en leur expliquant que la langue arabe est constitutionnellement bien outillée pour se défendre. Il les a également invités à «ne pas faire l'amalgame entre les propositions d'une commission de pédagogues et d'enseignants et les décisions de l'Etat». Comprendre : ce sont des pédagogues qui ont proposé l'enseignement de la darija et non pas la ministre Benghebrit, et encore moins l'Etat algérien. Pas de panique alors, semblait-il dire. Pour autant, le Premier ministre dont la prise de parole était clairement préparée et réglée comme du papier à musique, a lancé : «Il n'est dans l'intérêt de personne d'instrumentaliser les débats à des fins politiques et de les sortir de leur contexte éducatif et culturel». Pas d'idéologie à l'école On ne peut pas interpréter ces propos autrement que comme une riposte à ces milieux hostiles à Mme la ministre qu'il accuse clairement d'avoir instrumentalisé les débats à des fins politiques et de les sortir de leur contexte éducatif et culturel. Plus direct encore, Abdelmalek Sellal a déclaré que «si la langue arabe constitue l'outil fondamental d'enseignement de l'école algérienne, rien n'empêche que cette dernière s'ouvre à toutes les langues vivantes pour l'acquisition des sciences et des technologies». C'est là incontestablement un appui fort et une preuve irréfutable que le Premier ministre n'a pas jeté en pâture Mme Benghebrit. En assurant qu'il y a une «solidarité» au sein du gouvernement, Sellal répond implicitement à ceux qui l'accusent d'avoir lâché sa ministre de l'Education. Il finit sa prise de parole par un coup de maître qui a sonné comme un coup de grâce chez ceux qui réclamaient la tête de la ministre. «La réforme de l'école se fera loin des idéologies et des arrière-pensées politiciennes». Peut-on dire après ces précisions que Sellal a conforté les «anti-Benghebrit» ? Ceci d'autant plus qu'il a ajouté que les propositions issues de la conférence «feront l'objet d'un examen minutieux afin d'en tirer les meilleurs avantages au profit de la communauté éducative». En clair comme en décodé, le Premier ministre garde sa confiance en la ministre qui n'a finalement pas dit autre chose dans ses différentes interventions. Il est vrai que face à la série de «fatwas» incendiaires contre sa personne qui fusaient de toutes parts, elle semblait prêcher dans le désert. Mais avec ce «cours de rattrapage» de Sellal, Benghebrit semble désormais bien partie pour faire sa rentrée scolaire. A moins que…