On aurait pu retenir autre chose de la conférence que le PDG d'Algérie Télécom (AT) a animée avant-hier. Puisque Azouaou Mehmel devait répondre aux questions qu'on se pose sur la gigantesque panne d'internet causée par la rupture du câble sous-marin à fibre optique, c'est logiquement sur ce terrain-là qu'on l'attendait. C'était d'ailleurs sur cet unique sujet qu'il devait s'exprimer, même s'il a débordé. En conférence de presse, on déborde toujours, puisque les journalistes sont là pour vous y pousser, quoique le PDG d'Algérie Télécom semblait y aller volontiers, et parfois sans qu'on l'y invite, sur des terrains qu'il pensait certainement être à son avantage, en tout cas bien plus que le sujet imposé par l'actualité. Car ce dernier a l'inconvénient de poser un double problème : interpeller sur la responsabilité des dirigeants du secteur dans la catastrophe d'abord et requérir des réponses précises, et si possible crédibles. A commencer par cette question toute simple, on allait dire terre à terre mais ça aurait fait un jeu de mots qui ne manque pas de cynisme puisque ça se passe en mer : comment se fait-il qu'un câble en fibre optique qui assure 80% du débit internet du pays est laissé avec autant de désinvolture à la merci d'un navire qui passe par là ? Et si la zone traversée par le câble en question est censée être interdite à la navigation, comment se fait-il que la surveillance a manqué à ce point de vigilance ? Il se peut bien que ces questions ne lui aient été pas posées mais il pouvait y répondre et personne ne lui aurait reproché de… déborder sur le sujet ! Et puis «la» question : comment a-t-on fait pour que 80% du débit internet soit concentré dans un seul canal de transit qui relie Annaba à Marseille, avec tous les risques que cela suppose ? A lire l'explication du PDG d'Algérie Télécom, on devine que ce n'est pas de gaieté de cœur qu'il a répondu à la question : «On a un deuxième support (câble) reliant Alger à Palma. Nous avons augmenté ses capacités à deux reprises et il est passé de 2,5 à 10 GB puis à 80 GB unilatéralement. Pour des considérations purement techniques, nous ne pouvons plus le faire !» Voilà pour les «raisons techniques». La leçon est laborieuse mais on s'y attendait un peu, sinon on n'en serait peut-être pas là. Mais il y a aussi les raisons économiques : «C'est plus facile de le faire dans le cadre d'un consortium que dans un cadre bilatéral avec un opérateur historique. Sur Palma, l'opérateur (historique) impose des prix cinq fois plus élevés plus que les prix des autres opérateurs avec lesquels nous sommes en relation pour le câble reliant Annaba à Marseille» ! Dans ses explications techniques comme dans ses justifications économiques, on aura remarqué que Mehmel se situait au-dessus de la mêlée comme si les choix adoptés en la matière étaient les meilleurs et la catastrophe une fatalité ! On attendait le PDG d'Algérie Télécom sur tout ça mais de tout ça on n'aura pas retenu grand-chose. Il nous reste plutôt ça : «On gère selon nos moyens. Si les clients acceptent de payer, je peux faire une sortie de chaque ville vers une ville européenne ou américaine mais ça a un coût» ! On pensait que Mehmel était payé (aussi) pour imaginer des solutions économiques et trouver les meilleurs «coûts» pour satisfaire ses «clients» et faire prospérer son entreprise. Mais voilà, il est tout de suite dans une autre vocation, celle de censeur : est revenu sur l'usage d'internet en Algérie en critiquant indirectement les clients. «On nous demande de baisser les prix pour que les gens aillent sur Facebook et Youtube. Ça a un coût !», a-t-il déclaré, manifestement exaspéré. Non seulement il a oublié qu'il était à la tête d'une entreprise, le voilà qui oublie qu'internet est d'abord une affaire de liberté ! Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.