«Avec moins de moyens techniques qu'aujourd'hui, on était bien soigné et mieux pris en charge», affirment plusieurs malades rencontrés, dimanche soir, dans la longue file d'attente pour une éventuelle consultation aux urgences médicales du CHU de Tlemcen. Lors de la dernière visite du ministre de la Santé, le service des UMC n'avait rien à envier à ceux qu'on voit dans la série télévisée Urgences médicales. Mais, il ne faut pas rêver, c'était juste un mirage temporel provoqué par une onde de choc hiérarchique. Il fallait ce grand jeu pour se maintenir, sans se soucier des centaines, voire des milliers de malades pour qui les urgences médicales sont le seul salut. Aujourd'hui, les UMC ne sont que l'ombre d'elles-mêmes. Finie l'odeur parfumée et les draps roses ont pris la couleur d'un blanc douteux. Le newlook et ses gadgets se sont évaporés le temps d'une visite. Tout le monde le dit sans détour : «Le ministre devrait effectuer des visites inopinées pour déjouer les mises en scène et constater de visu la réalité des lieux et ses disfonctionnements, comme il l'a fait à la maternité de Constantine.» Cris de détresse, cohue, exiguïté des lieux, longue attente des malades, des blessés sur des civières, une salle de soins inadaptée, un personnel paramédical dépassé, des internes à la recherche d'un résident pour examiner un cas jugé sérieux, une salle de déchoquage saturée, telles sont les endurances et les souffrances de tous les malades que se rendent au aux UMC. Par ailleurs, les malades chroniques sont les plus affectés par cette situation pour le moins laconique. «On a téléphoné au spécialiste de garde, il ne va pas tarder à venir vous consulter», affirment les internes aux cardiaques, aux insuffisants-rénaux et à tous ceux ou celles qui nécessitent peut-être une intervention chirurgicale en urgence ou l'avis d'un spécialiste. Pour les examens radiologiques, il ne faut pas rêver ! Le seul appareil qui fonctionne est un vieil appareil classique dont les clichés très médiocre peuvent induire les praticiens en erreur et compromettre la vie des malades. «Un cliché de mauvaise qualité peut engager le pronostic vital d'un malade car il laisse apparaitre des opacités irréelles laissant croire à l'existence d'un kyste, d'une tumeur ou d'un épanchement pleural, par exemple. Le malade souffrant d'autres pathologies se retrouve ainsi opéré dans l'urgence par erreur de diagnostic», affirme un médecin-urgentiste qui ne comprend toujours pas «l'inopérationnalité de l'IRM et des autres examens radiologiques dont l'apport en temps réel peut sauver des vies humaines surtout les cas d'AVC qui doivent être traités dans les deux heures qui suivent leur accident». L'Etat a investi des milliards pour l'acquisition d'équipements médicaux et d'infrastructures de santé, sans pour autant que la qualité des soins s'améliore. Le problème ne réside donc pas dans les moyens, il faudrait le chercher ailleurs. Il faut le reconnaître, c'est la gestion qui est au cœur de cette problématique qui n'a que trop duré. Las d'attendre, les parents d'Oussama, un jeune malade de 21 ans, décident de l'emmener vers une clinique privée dont nous tairons le nom. Nous les accompagnons. Entre l'arrivée et la prise en charge du malade, il ne s'est pas écoulé deux ou trois minutes. Avec peu de moyens, le service d'urgence est pourtant impeccable. A la consultation médicale, s'en suivent des examens radiologiques et des analyses médicales. Et Oussama se retrouve sur le billard pour une péritonite. Selon le chirurgien, «il a frôlé une septicémie car le liquide a envahi tout le péritoine». Cela démontre bien que le problème réside dans la gestion hospitalière et l'organisation des services. Quand la gestion fait défaut Le laxisme, la déliquescence et le laisser-aller caractérisent l'ensemble des services du CHU de Tlemcen. Durant ces dix dernières années, les UMC ont été réhabilitées trois fois. Cette fois encore, un projet est en cours pour la réalisation de nouvelles UMC. Tous les services ont fait l'objet d'opérations de réfection à coup de milliards de dinars. «Des réhabilitations irréfléchies et guidées souvent par d'autres considérations que le bien-être du malade qui, lui, est toujours à la case départ. Dernièrement, une enveloppe de plus de 2 milliards de dinars a été allouée pour l'acquisition de nouveaux équipements médicaux. Ne vont-ils pas connaître le même sort que l'IRM et le scanner acquis et installés depuis plus d'une année, sans qu'aucun malade ne puisse passer le moindre examen. Le privé a-t-il investi autant dans ses cliniques ? Tout laisse croire que c'est un ordre établi, sinon comment expliquer qu'un CHU doté d'équipements ultramodernes oriente les malades vers le privé pour des examens radiologiques et des interventions chirurgicales. Dans ce «marchandage», c'est le malade qui est le dindon de la farce. Entre erreurs médicales et recours au privé A notre retour aux UMC, nous tombons nez à nez avec une connaissance qui souffrait d'insupportables douleurs lombaires. Il attendait depuis plus de deux heures un quelconque médecin. Enfin, il est admis au bureau des consultations. On lui diagnostique une hernie lombaire. Une ordonnance médicale lui a été délivrée avec un rendez-vous de consultation spécialisée à la clinique de Boudghène. Le lendemain, à son arrivée à la clinique et malgré le traitement prescrit, les douleurs sont toujours fortes. La clinique rénovée et modernisée accueille quotidiennement des centaines de malades pour des consultations médicales spécialisées et des examens postopératoires, sauf que l'appareil radiologique numérique, acquis récemment, est en panne. Du coup les patients doivent s'orienter vers le privé et revenir pour cette indispensable consultation. La clinique de Boudghène est une annexe du CHU où se font généralement les consultations externes et les admissions à l'hôpital. A l'issue de sa consultation, Réda devrait subir une urographie intraveineuse. Il semblerait qu'il souffrait d'un problème rénal et non pas d'une hernie discale. Finalement, la radiologue a diagnostiqué une insuffisance rénale gauche. Et c'est à l'EHU de l'UST Oran qu'il a atterri et sauvé in extrémis. La wilaya de Tlemcen, à l'instar des autres wilayas dispose d'importantes infrastructures sanitaires en plus de celles en voie de réception. Malheureusement, comme nous l'avons dit et démontré dans cette enquête, la santé est avant tout une affaire humaine. Sauf que chez nous, on a tendance à faire trop d'humanisme face à ceux qui la compromettent pour des considérations inavouées. Pour l'anecdote, lors de sa dernière visite à Tlemcen et à l'issue de la séance de travail qu'il a tenue avec les cadres de son département, nous avons approché le ministre de la Santé. Monsieur le ministre, les jolies draps, les matelas neufs et l'enivrant parfum ne sont qu'une mise en scène magistralement exécutée par la direction aux niveaux des services que vous avez inspectés.» Il a gentiment répondu : « Je le sais.» En attendant, les malades vivent toujours dans le cauchemar.