Le film documentaire Khadra et les autres (Khadra wa D'jmaâtha) de Sihem Merad a été projeté en avant-première jeudi dernier au cinéma El Khayam, ex-Debussy, à Alger. Sihem Merad, la réalisatrice du film documentaire, a retracé 50 ans d'existence de la cinémathèque algérienne en une trentaine de minutes. Ce moyen métrage est co-produit par Julien Raout et Florian Draussin, Claire Mazeau Karoum et Tewfik Rays. C'est un joli cadeau que Sihem offre au cinéma algérien. «Au départ, je voulais faire un travail sur la rue Tanger, revenir sur son histoire, les richesses qu'elle a contenues et qu'elle continue de préserver. Enfant et adolescente, on me racontait comment Hadj M'hamed El Anka venait se couper les cheveux ici, je sens encore l'odeur et le goût des meilleures pâtisseries et gâteaux d'Alger d'El Hadj Oukoulou, qui a plus de 80 ans maintenant… Puis j'ai constaté que c'était un gros travail assez dur pour moi. Cela dit, en passant quotidiennement par la Cinémathèque d'Alger en 2009, j'ai vu qu'elle était fermée pour rénovation. Je discutais à chaque fois avec Boualem Boukhroufa et Jaffar Ouali, employés de la Cinémathèque, qui me racontaient tous les jours plein d'histoires et d'anecdotes sur la Cinémathèque, jusqu'au jour où ils m'ont présenté Khadra Boudehane. C'était le déclic que j'attendais. Elle me raconta comment elle faisait entrer les gens à la salle de cinéma par la porte de secours qui donne sur la rue Tanger, et c'était là mon point de départ pour faire ce film», nous dira Sihem Merad. «Khadra et les autres» raconte une partie de l'histoire de la Cinémathèque à travers le témoignage de Khadra Boudehane, surnommée la «doyenne» de la Cinémathèque d'Alger (1965-2005) et de ses collègues, à savoir Jaffar Ouali, Boualem Boukhroufa, Samira Kaddour et le journaliste Djamel Eddine Merdaci qu'on retrouve en tant que témoin dans le film. Khadra y raconte son parcours professionnel en qualité de caissière, d'ouvreuse, de placeuse et enfin de responsable de ce Musée du Cinéma. Femme attachante au caractère très spécial, elle a fait ses débuts à la salle Le Français (Ouarsenis), puis à la salle de répertoire de la Cinémathèque, avant de se fixer à la Cinémathèque d'Alger rue Larbi Ben Mhidi, où elle est restée plus de quarante ans. Au cours de cette longue période, Khadra raconte dans le film les moments fabuleux qu'elle y a vécus en côtoyant son fondateur, le regretté Ahmed Hocine, et son successeur Boudjemaâ Karèche, ainsi que les «monstres» du septième art qui y sont passés, à l'exemple de René Vautier, Youcef Chahine, Sembène Ousmane, Alain Robbe-Grillet, Himoud Brahimi dit Momo... ainsi que public nombreux de plus de 1000 par jour. Des tickets d'entrée, Khadra en a vendu des milliers, et même durant la décennie noire où elle œuvré quotidiennement pour préserver cette culture qu'est le septième art. Un vécu qu'elle étale avec un naturel époustouflant. Khadra a par ailleurs montré un grand talent d'actrice dans ce film.
Une vie au service du cinéma
«Quand Khadra circule dans le hall, c'est toute la Cinémathèque qui est en branle ; quand elle marche dans la rue pour arriver de chez elle à la Cinémathèque, c'est toute une vie culturelle qui est en branle», soulignera Kaddour M'hamsadji à la fin de la projection, tout en félicitant Khadra Boudehane. En effet, durant les 30 minutes du film, Khadra n'a fait qu'être naturelle. Chez elle, dans la rue, lorsqu'elle s'attable dans un restaurant de la rue Tanger pour déguster des sardines ou des crevettes, Khadra cultive ce naturel et cette algérianité qu'on ne retrouve que chez nos mères et grand-mères. «Je me rappelle le jour où j'ai tourné dans le film «Yadass» de l'Inspecteur Tahar ; j'y est campé le rôle de la «bandya», s'est remémoré Khadra à la fin du film en toute spontanéité et humour. Avant de révéler qu'elle a récupéré des archives de la Cinémathèque. «Lorsqu'on les a balancés dans la rue, j'ai ramassé tout ce que j'ai pu d'affiches, de cahiers d'enregistrement, de vieux tickets et de vieilles bandes de film», fera savoir la maman de la Cinémathèque. «Khadra et les autres» décline un cachet populaire et authentique propre à Alger et aux Algérois. Ce film, simple par sa richesse et par son naturel, nous replonge dans une douce époque où le cinéma algérien jouissait de bons films. Par ailleurs, le film ne contient aucune référence historique, d'où le choix de sa productrice Sihem Merad qui n'a pas souhaité revenir sur l'histoire de la Cinémathèque. «On trouve toute l'histoire de ce musée du cinéma dans les livres ; pourquoi reprendre ce qui a été déjà dit et écrit ? Ce que je voulais, c'est donner un cachet jeune et moderne à la Cinémathèque, notamment à travers ces nouvelles recrues, à l'instar de Samira Kaddour», nous dira Sihem en marge de la projection. «Khadra et les autres» reste un film documentaire à enrichir. Il peut en effet être l'éveil d'un cinéma algérien à juste titre. Chose que nous a confirmé Sihem Merad qui compte bien prendre ce film comme un tiseur pour développer pleins d'autres thématiques qui entourent la Cinémathèque d'Alger. La personnalité de Khadra résume à elle seule une des fonctions essentielles de la Cinémathèque, entre la culture et l'éducation. Khadra incarne ce symbole de l'algérianité, de la féminité triomphante. «Elle s'est approprié des valeurs dont on pensait que les femmes étaient incapables ou pas disposées à accomplir. Elle a montré tout au long de sa carrière qu'elle pouvait être femme algérienne et en même temps assumer des responsabilités, en l'occurrence celles liées à la Cinémathèque d'Alger. Khadra a été l'accompagnatrice de l'éveil cinématographique de plusieurs générations en Algérie. On peut espérer aujourd'hui que d'autres Khadra surgissent et que la Cinémathèque retrouve le statut qui était le sien», nous dira Sihem Merad.