En face et après les derniers attentats de Paris, la surenchère identitaire, à fleurets mouchetés par le passé, s'est débridée avec leurs élections régionales teintées du Bleu marine effrayant. Après l'étape des remises à questions, vient celle des remises en question. Seul le langage de la stigmatisation a cours sur les médias où des notions fourre-tout enveniment des attitudes hypocrites. De même, des maladresses langagières toxiques, intentionnelles et provocatrices se cachent derrière le subterfuge de la liberté d'expression. Des spécialistes de tous bords, prenant un malin plaisir à discourir sur tout et rien, sont pourtant dans l'ignorance de cette religion incomprise et «'incompréhensible»' qu'est l'Islam. Islam en France, Islam de France, Islam du djihad ou Islam moderne à l'européenne ? La terminologie afférente à l'Islam est très vague à telle enseigne qu'elle campe au croisement de toutes les complications. En un mot, c'est un caillou dans le soulier de cette Europe vacillante et vieillissante de Bruxelles à Genève en passant par Paris. Ainsi divagations, amalgames et polémiques sur fond de consternation populaire sèment-ils la zizanie dans les esprits chagrins. Au même titre, l'intelligentsia politique européenne, rompue à la culture de salon, a oublié le terrain des gageures de l'intégration et le vivre-ensemble en ce qui concerne des millions de «citoyens» musulmans enracinés durant au moins deux générations dans des terres d'accueil de leurs pères, devenues aujourd'hui sociétés-mères pour leurs progénitures. Des progénitures dont la haine de soi et de la société se transforme en haine de l'autre en rejoignant la nébuleuse Daech… Et à bien y regarder, l'époque est tumultueuse quant à la tolérance et la cohabitation des peuples. De la rage franchouillarde des lepénistes au suicide médiatique d'Eric Zemmour en passant par les historiettes du hidjab et du kébab, le drame de la citoyenneté moderne s'est joué de bien piètre manière aux portes de cette Europe laïque, très scrupuleuse sur l'appartenance religieuse de ses citoyens ! Le débat prête alors à toutes sortes de dérives, de fantasmes identitaires et de faux-semblants liés à l'Islam. Mais, quoique l'on en dise, le climat de peur sécuritaire en Europe est bien différent de celui provoqué par la Bande à Baader allemande, d'Action directe française ou des Brigades rouges italiennes qui activaient au beau milieu des années 1970 ou bien encore de l'IRA irlandaise ou de l'ETA basque. L'intégrisme religieux d'aujourd'hui, né à la base de frustrations, s'est arraché la paternité des émotions primaires de tous les déchus du système, lesquels ont épousé sans réfléchir les thèses terroristes et radicales, se passant d'une arrière-base philosophique ou revendicative. La marginalisation n'a été alors retardée que par des calfeutrages superficiels, s'apparentant à un arbre qui cache la forêt. Or, la modernité ne présuppose pas l'existence d'identité consensuelle ou pure, mais la consécration d'une citoyenneté transcendant les différences religieuses, culturelles ou politiques à consonance raciste pour une diversité pluraliste et tolérante à visage humaniste. S'il y a un échec de l'intégration en Occident, c'est parce qu'il existe un véritable problème de citoyenneté. En conséquence de quoi, demander aux musulmans de France ou ailleurs, en tant que croyants, de se démarquer d'un attentat terroriste signifie en filigrane l'acceptation par ce monde dit libre de l'idée communautaire et ce, au détriment de l'idéal citoyen prôné par le siècle des Lumières. Du coup, la vie humaine n'a pas la même valeur au Mali, au Soudan, à Paris ou à Bruxelles ! La vision européocentriste s'est noyée jusqu'au cou dans ses inclinaisons et ses déclinaisons sur le concept de race, entendu à droite, comme à gauche et bien sûr sur la vague Bleu marine hexagonale…