Il est tout de même difficile de comprendre qu'on se croie obligé à l'orée de chaque célébration d'expliquer les origines de Yennayer et l'évolution du rituel, à la manière d'un guide touristique sur un site archéologique, entouré de pèlerins venus de l'autre bout du monde. Aussi inexplicable, la fête la plus solidement liée au patrimoine historique de notre pays est encore célébrée dans une énigmatique discrétion. On pourrait comprendre que la fête soit tellement ancrée dans notre passé qu'elle devient naturelle, mais ce n'est pas si évident. D'abord parce que la profondeur historique et culturelle d'un rituel n'exclut ni le faste ni ce qui l'accompagne comme manifestations de joie. Ensuite parce que les années de déni et d'exclusion, au lieu d'installer dans la durée les réflexes d'autocensure auraient pu au contraire les libérer. Il y a quelques décennies, avant que d'autres formes d'invective ne viennent «enrichir» la palette des interdits, il était tout à fait loisible de s'afficher au soir du 31 décembre avec sa bûche ou sa bouteille, mais il fallait rester «prudent» quand il s'agit de fêter Yennayer, qui revient à «afficher» ostentatoirement sa berbérité ! Maintenant que le temps est passé et que les enfants ont grandi, comme dirait l'autre, on pensait que la fête allait être restituée dans toute sa splendeur à une communauté nationale qui en a pourtant gardé l'essence en dépit de l'interdit, de l'oubli et de la difficulté ordinaire. On peut, pour des considérations d'appartenance sociale, de croyance ou… d'habitude, trouver des pans entiers de la société que les autres fêtes de fin d'année n'enthousiasment pas trop, mais Yennayer est partout présent. Paradoxalement, Yennayer, la fête qui réunit le plus d'Algériens, n'a pas encore bénéficié d'une journée chômée et payée. Jamais une fête ne réunit également autant de différences dans le rituel, les mets et la légende. Même si à quelques nuances près, le repère historique est sensiblement le même, il y a une telle richesse dans les formes de célébration d'une région à l'autre que cela donne à la fête une autre envergure. Cela n'a pour autant pas pu l'arracher au folklore afin de l'installer dans la profondeur culturelle des Algériens. L'«effort» de prise en charge officielle, faute de conviction et de volonté sincère de promouvoir le rendez-vous annuel, en a rajouté dans son infantilisation. Y compris les «militants» ou les «experts» qui continuent à maintenir Yennayer dans des rites désuets au lieu de l'installer dans la modernité et d'en faire une fête de son temps, boucleront la boucle. En attendant, bonne année 2966. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.