La Cour pénale internationale (CPI) continue de juger l'ex-président ivoirien, Laurent Gbagbo, et l'un de ses ministres de l'époque, Charles Blé Goudé, alors que les Ivoiriens souffrent encore des stigmates d'une crise politico-militaire remontant à 2002. A cette date, une tentative de coup d'Etat manqué avait fragmenté les forces ivoiriennes et divisé le pays en deux parties. Une zone sud tenue par le gouvernement et une zone nord contrôlée par les rebelles. Mais avant de parler du déroulement de ce procès controversé, qui se tient à La Haye, il est important de rappeler le contexte et les conditions dans lesquels étaient plongée la Côte d'Ivoire, ce géant de l'Afrique de l'Ouest. Pour une sortie de crise, les parties ivoiriennes avaient signé un accord en 2007 traitant de tous les aspects du conflit, y compris de l'organisation de la présidentielle, plusieurs fois reportée, pour différentes raisons, et dont le premier tour du 31 octobre 2010 a donné, sans surprise, la victoire à Laurent Gbagbo, et à son rival, Alassane Dramane Ouattara. La candidature de Ouattara dont l'ivoirité était mise en doute par rapport à la nationalité de sa mère burkinabé était devenue possible grâce à la mesure prise par Gbagbo ayant exclu, en homme de paix, l'article 35 de la Constitution, qui exigeait que tout candidat soit «de père et de mère ivoirien d'origine». Ceci empêchait son futur concurrent de postuler à la magistrature suprême. Toutefois, au moment où la Côte d'Ivoire était en passe de réussir son pari de sortie de crise, les résultats provisoires du deuxième tour, proclamé un jour après le délai légal par la Commission électorale indépendante (CEI), donnaient Ouattara vainqueur avec 54,01% de voix contre 45,9% pour Gbagbo, avant leur invalidation par le Conseil constitutionnel, qui s'était saisi du dossier pour annoncer après examen des recours du président sortant, sept jour plus tard, la victoire de Laurent Gbagbo avec 51,45% devant Ouattara (48,55%). C'est à ce moment-là que la crise éclate. Des marches sont organisées par le camp Ouattara, les frontières fermées par l'armée ivoirienne sous les ordres du président Gbagbo, qui exigea le départ de la mission de l'Onu (Onuci) et de la force française Licorne. Un coup de la Françafrique Les Africains étaient pour une solution interne à la crise, au moment où les Occidentaux, à leur tête la France, ont fait valoir la force des armes pour donner le pouvoir à Ouattara et remettre, le 30 novembre 2011 par l'intermédiaire de l'Etat ivoirien, Laurent Gbagbo à la CPI. Le 12 juin 2014, la Chambre préliminaire I de la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé, à la majorité, quatre charges de crimes contre l'humanité (meurtre, viol, autres actes inhumains ou - à titre subsidiaire - tentative de meurtre, et persécution) à l'encontre de Laurent Gbagbo, un dirigeant que ses partisans soutiennent toujours pour ses positions nationalistes. Le chef d'inculpation a été rejeté par la défense de Gbagbo et Charles Blé Goudé, qui ont plaidé non coupables. Ministre de la Jeunesse durant la crise dans son pays, Blé Goudé, accusé d'avoir été à la tête d'une milice pro Gbagbo, a affirmé devant la Cour, qui ne rendra pas son verdict de sitôt, que jamais il n'a dirigé un groupe de personnes armées, comme jamais il n'a militairement pris part à un conflit. Agé de 70 ans, Laurent Gbagbo a, quant à lui aussi, rejeté en bloc les charges retenues contre lui, martelant qu'il est victime de la «françafrique». Ses avocats, dans la même lancée, ont accusé Alassane Ouattara d'avoir pris le pouvoir par «la force», avec l'appui de la France, et clament encore la victoire de leur client à la présidentielle 2010. Les avocats présentent aussi Gbagbo comme «démocrate», «homme de paix»et victime de la «françafrique. Pour eux, les forces françaises ont cherché à «punir» l'ex-président pour avoir voulu s'opposer à l'ingérence de l'ancienne puissance coloniale. En attendant que le procès en cours livre tous les secrets de la crise post-électorale durant laquelle des crimes ont été également commis en Côte d'Ivoire par les Forces Nouvelles, ancienne rébellion qui s'est transformée par la suite en armée régulière sous Ouatara, les dirigeants africains regrettent le fait que la CPI s'acharne beaucoup plus sur l'Afrique et sur les chefs d'Etat du continent, alors qu'ailleurs, comme l'a souligné le nouveau président en exercice de l'Union africaine (UA), le Tchadien Idriss Déby, «dans le monde, beaucoup de choses se passent, beaucoup de violations des droits de l'homme flagrantes, mais personne n'est inquiété».