Rencontré à la veille des élections européennes, l'humoriste algérien installé en Hollande, Hakim Traïdia a bien voulu aborder, pour nos lecteurs, cette question sensible et d'actualité qu'est la montée de l'extrême droite aux Pays-Bas. Cette figure médiatique d'origine maghrébine nous raconte ici notamment sa rencontre avec le leader populiste néerlandais, Geert de Wilders . Le Temps d'Algérie : Vous effectuez actuellement un reportage sur l'islam et la réconciliation en Algérie pour le compte d'une télé néerlandaise. Est-ce la montée en puissance du populisme en Hollande qui est à la base de votre travail ? Hakim Traïdia : non, pas du tout ! Je dois dire que je fais ce reportage d'abord dans le cadre d'une série pour une télévision communautaire et multiculturelle néerlandaise. J'ai déjà eu, ainsi, à mener le même travail au Surinam, (une ancienne colonie néerlandaise en Amérique du Sud. ndlr) où j'avais rencontré notamment des musulmans d'origine indienne. L'escale d'Alger sera retranscrite et diffusée prochainement dans un documentaire d'une durée de 17 minutes… Ce ne serait pas, par hasard, une réponse à Fitna, le film de propagande et pamphlet anti- islam de Geert de Wilders ? En partie seulement. Puisque dans mon reportage, interviennent d'éminents professeurs d'universités, des élus, des imams, des intellectuels pour qui, la plupart, le mot islam signifie d'abord et avant tout, «paix». Indirectement, mes interlocuteurs portent en effet l'estocade à de Wilders puisqu'ils démontrent, tous et chacun à sa manière, que l'islamophobie n'est qu'une agression fondée sur l'incapacité à comprendre l'autre et sur l'échec à accepter la différence. Il ne s'agissait pas pour moi de donner, outre mesure, du crédit aux élucubrations de Wilders. D'ailleurs, tous les pays musulmans ont superbement ignoré son court métrage diffusé uniquement sur le site de son parti et sur Youtube. Le contenu grossier de ce film sur l'islam n'aura suscité qu'indifférence dans le monde musulman. Il semblerait que les appels à la raison du gouvernement néerlandais aient été entendus. Vous êtes souvent présenté comme un exemple de l'intégration «à la néerlandaise». Avez-vous été interpellé à ce sujet ? Oui, bien sûr ! A sa sortie, on me demandait souvent : «Hakim, t'as vu le film ?». Je répondais laconiquement : «Non, j'ai lu le livre, il est plus intéressant !» en faisant allusion au Coran pour lequel De Wilders exige l'interdiction. Avez-vous déjà rencontré personnellement Geert de Wilders ? Oui, tout à fait ! Parlez-nous-en, s'il vous plaît. J'animais, il y a deux ans, pour le compte d'une rubrique culturelle d'une télé une série d'émissions où l'on faisait essentiellement des portraits de personnalités néerlandaises. Mon rôle consistait à mettre un zeste de fantaisie et un grain d'humour dans cette émission de divertissement très suivie en Hollande. Lors d'une campagne électorale locale, nous avions sollicité pour un entretien Geert de Wilders. La production avait pris attache, à cet effet, avec son porte parole dont la réponse négative fut plutôt cinglante. Jugez-en : «Ah oui, Hakim Traïdia ? C'est le clown de la télé multiculturelle. Non, désolé, on n'en veut pas !». Quelque temps après, nous étions en tournage à Groningen au nord de la Hollande à côté de la frontière allemande. Et là nous avons croisé de Wilders, en personne. Il est grand de taille et il a les cheveux peroxydés, c'est-à-dire plus blonds que blonds. En homme politique avisé, il semblait vouloir flirter avec la caméra. C'est pourquoi nous l'avons abordé sans ambages : «Bonjour, Monsieur de Wilders. Si vous permettez, nous avons une question à vous poser : "Avez-vous quelque chose contre les clowns ?".» «Non» a-t-il répondu un peu surpris. Je lui alors asséné : «Moi si ! Je suis contre les clowns quand ils font de la politique !» Il se fendit d'un rire gras en me déclarant : «Rassurez-vous, je vous respecte !». Je lui ai répondu, «Oui, c'est réciproque : je me respecte moi-même». (rires) Concernant les propos de son «porte-parole», il les démentira aussi sec : «Ce ne sont pas mes paroles !». Il faut savoir, par ailleurs, que son parti, le PVV n'est pas un parti politique comme les autres car on ne peut pas en devenir membre sans son accord personnel. Je lui ai alors demandé si je pouvais, moi, en tant qu'étranger d'origine musulmane adhérer à son parti. Il m'a répondu tout de go : «Oui, bien sûr !» avant de me présenter un alibi qu'il avait sous la main : une jolie Chinoise, une militante de son parti qui tente alors de m'expliquer vainement le bien fondé des thèses de son parti que je trouve foncièrement racistes et résolument islamophobes. A en croire, la forte médiatisation de de Wilders, on a l'impression que la Hollande n'est plus le havre de paix et de tolérance qu'on connaissait jadis. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Non, la Hollande n'est pas la France ! Mais, cela dit, il est indéniable que les musulmans connaissent aux Pays-Bas aussi différents niveaux de discrimination sur les plans de l'emploi, de l'éducation et du logement, et qu'ils sont victimes, eux aussi, de clichés et de préjugés négatifs et réducteurs. Et s'il n'y a pas eu, jusqu'ici d'incidents notoires dirigés contre les musulmans en Hollande, la majorité des étrangers qui y vivent sont eux, disons-le franchement, plutôt bien intégrés. Il y a certes une petite délinquance mais celle-ci ne prête pas à de grandes conséquences sur l'ordre public. Cela dit, cette hostilité présumée à l'encontre des musulmans en Hollande doit être toujours perçu dans le contexte d'un climat général qui, on l'aura noté, est très peu favorable aux musulmans depuis un certain 11 septembre. D'ailleurs, depuis quelques années, les croyances fondamentalistes de toutes sortes envahissent le monde entier… Ne pensez-vous pas que le terrorisme islamiste exacerbe largement les sentiments islamophobes ? Absolument ! Récemment encore, on a eu une peur bleue d'apprendre que l'auteur de l'attentat, le chauffeur fou des cérémonies nationales en présence de la reine Béatrix ait été musulman. Heureusement, ce ne fut pas le cas. On avait déjà eu la même frayeur lors de l'assassinat du leader populiste, Pim Fortuyn… Pourquoi ? Sinon ça aurait ravivé le «bûcher» de De Wilders qui brûle, notez-le, avec intensité depuis notamment l'assassinat par un islamiste radical du réalisateur Théo Van Gogh, en novembre 2004. Dites-nous, franchement : avez-vous peur personnellement de cette montée en puissance de l'extrême droite en Hollande ? Non, à vrai dire, je n'ai aucune crainte à ce sujet. Je ne pense pas, que je puisse constituer en tant qu'Algérien une proie facile pour l'extrême droite. J'ai, aujourd'hui, un statut tel qu'il m'évite de nombreux désagréments. Mais, il ne faut pas être dupe aussi. Je sais très bien que si je ne m'appelais pas Hakim Traïdia, je serais probablement discriminé autant que les autres. Il faut savoir, cela dit, que la cible favorite de De Wilders reste les Marocains qui constituent le plus fort contingent d'allochtones aux Pays-bas. Et je dois dire que je me sens entièrement solidaires avec mes frères marocains ! On dit que l'avènement du populisme banalise le phénomène de l'islamophobie en Hollande. Qu'en pensez-vous ? Hélas, c'est vrai ! J'en suis venu moi-même à le caricaturer dans un personnage qui s'appelle Ahmed d'Orange, une sorte de «néo harki», un étranger assimilé hollandais et qui est devenu à la longue, plus royaliste que la «reine» (rires). Il est surtout xénophobe et raciste. Quel est son programme ? Eh ben… S'il est élu, Ahmed d'Orange refoulera tous les étrangers. C'est bien simple, il n'y aura plus d'étrangers en Hollande. Il n'y aura même plus de ministre des Affaires étrangères (rire). Pour forcer le trait, j'en rajoute un peu : Ahmed d'Orange ne part jamais en vacances. Car quand il retourne dans son pays d'origine, il se sent, là-bas, comme un véritable étranger. Il en arrive à se détester lui-même ! (rires).