L'enseignement des matières scientifiques en langue française, dans le cycle secondaire, une option qui figure parmi les propositions de la refonte de l'examen du baccalauréat, est au centre d'une vive controverse. Alors que certains y voient une solution à l'échec dans les études supérieures, exigeant une maîtrise du français, d'autres considèrent cette mesure comme une atteinte à l'identité nationale. Un des adeptes de l'introduction de la langue de Molière dans l'enseignement des matières scientifiques, le Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef), justifie sa position par la réalité du terrain qui impose le recours à une telle décision. «C'est la technologie qui nous impose d'enseigner les matières scientifiques et technologiques en langues étrangères», a soutenu Boualem Amoura, secrétaire général du Satef. Enseigner en français les matières scientifiques, dont les maths et les sciences expérimentales, que nous encourageons, poursuit-il, est une idée émanant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. «C'est le ministère de l'Enseignement supérieur qui a fait cette proposition, lors d'une réunion tenue conjointement le 13 du mois en cours avec le ministère de l'Education nationale», a précisé notre interlocuteur. Remédier au phénomène de l'échec universitaire, notamment la première année des branches scientifiques et technologiques, était la motivation du département de Tahar Hadjar. C'est ainsi que Amoura explique la démarche de ce dernier. En effet, estime-t-il, le taux d'échec en première année universitaire dans les filières sus-citées frôle les 75%. Et la mauvaise orientation était à l'origine de cette réalité, explique le responsable syndical. Sans oublier, ajoute-t-il, que la documentation et la formation des enseignants sont en français. Le Conseil des lycées d'Algérie (CLA) est du même avis. Néanmoins, ce syndicat plaide pour la «francisation» de ces matières qui doit être accompagnée d'une révision à la hausse du nombre de spécialités au baccalauréat. Cela afin de suivre l'évolution technologique mondiale et les besoins de notre pays, argue Idir Achour, secrétaire général du CLA. Pour les voix hostiles à l'enseignement des matières scientifiques en langue française, le recours à une telle décision est une menace pour l'identité nationale. Interrogé par nos soins, Messaoud Amraoui, directeur de la communication à l'Union nationale des personnels de l'éducation et de la formation (Unpef), la considère comme «un acte qui vise à porter atteinte à notre identité nationale». Pour Amraoui, cette proposition n'émane pas des partenaires sociaux, mais vient de la directrice générale de la francophonie au pays du Maghreb. «Pour sauver la langue française de la disparition, elle a proposé à la ministre de l'Education de promouvoir l'enseignement de cette langue», martèle-t-il. Ce qu'il condamne en le qualifiant d'«ingérence dans nos affaires intérieures». Pour lui, la problématique ne réside pas dans la langue mais dans les programmes incohérents entre les trois cycles de l'enseignement. Un «apartheid linguistique» Pour Ahmed Tessa, pédagogue et ancien conseiller au ministère de l'Education nationale, le système éducatif est à l'origine de la non-maîtrise de la langue. Il indique qu'avec l'avènement des écoles privées, «le système éducatif algérien souffre d'un apartheid linguistique qui pénalise les élèves de l'école publique», avance-t-il. Ces apprenants, explique-t-il, font toutes leurs études en arabe (y compris les matières scientifiques et technologiques) et se retrouvent à l'université avec des spécialités enseignées en langue française. A l'inverse, les élèves des écoles privées ont plus d'atouts, puisque leur cursus scolaire est fait principalement en langue française, et ce, de la maternelle à la terminale, ajoute Tessa. Et d'illustrer ses propos en avançant cet exemple : «Imaginez deux élèves bacheliers - élève A d'un lycée public et élève B d'une école privée - les deux choisissent la même spécialité (médecine, pharmacie ou ingéniorat..), l'étudiant A aura des difficultés à suivre les cours en français, il ne tardera pas à abandonner ou se verra redoubler. Son camarade B n'aura pas de difficultés.» Pour remédier à ce problème, il prône deux solutions : soit arabiser totalement l'université algérienne – y compris les filières scientifiques et technologiques – soit franciser l'enseignement des disciplines scientifiques et technologiques de la maternelle au lycée. C'est ce que vient de faire le Maroc, poursuit le pédagogue, après trente année d'arabisation totale et intégrale sans aucun rendement positif. Alors que dans les pays du Golfe, les maternelles, écoles et lycées pour riches (les enfants des émirs et de leurs proches) enseignent tout en anglais et même en français (au Qatar et aux Emirats). En Algérie, conclut-il, les enfants issus de familles privilégiées sont inscrits dans les écoles privées, dès la maternelle. Par contre, les enfants des pauvres, dans certaines wilayas, vont dans les écoles publiques où l'enseignement des langues étrangères est soit inexistant, soit déficitaire en qualité et en quantité d'enseignants. C'est ainsi que, depuis plus de trente années, notre système politique a créé un apartheid linguistique au profit des enfants de riches.