Samedi dernier, la grande salle du siège de l'association des anciens scouts et amis des scouts de la wilaya de Tizi-Ouzou était à nouveau au rendez-vous du café littéraire. L'invité était cette fois-ci Ahmed Tessa. Le pédagogue et ancien normalien a présenté « L'impossible éradication – L'enseignement du français en Algérie ». Son livre, préfacé par Amin Zaoui, est paru récemment aux éditions Barzakh. « Je ne dénonce pas la langue arabe, mais une approche schizophrénique » Ahmed Tessa, qui a été aussi durant de nombreuses années conseiller au niveau du ministère de l'Education, a d'emblée indiqué que son ouvrage « n'est pas un procès de la langue arabe ». « J'ai voulu démontrer surtout que l'un des dysfonctionnements majeurs qui brime et empêche l'école algérienne de se développer est son peu d'ouverture sur la modernité », a-t-il expliqué. Pour l'auteur, son livre se veut « une dénonciation de ceux qui ont réussi dans leur sale besogne à créer cette rupture linguistique qui perdure entre l'école et l'université pour faire durer et surtout asseoir leur pouvoir ». « Sans remettre en cause le louable principe de la réhabilitation de la langue arabe, je dénonce cette approche schizophrénique de la prise en charge de celle-ci » a-t-il clamé. Pour lui, « ce fut une démarche hypocrite des idéologues qui avaient ordonné et exécuté cette opération insensée ». Il relèvera et dénoncera le fait que les promoteurs d'une telle démarche « ont pris les précautions de placer leurs enfants dans des classes bilingues, le lycée français d'Alger et plus tard leurs petits-enfants dans les écoles privées, tout en s'assurant également à l'université de filières de prestige (mathématiques, médecine et pharmacie) ». « Les enfants du peuple ont été placés dans les classes arabisées et étaient orientés vers des filières sans débouchés », a-t-il déploré. On a créé des robots durant la décennie noire Il s'est montré durant son exposé sans concession sur l'école algérienne. « Cette schizophrénie a fait que l'on a bourré le crâne des enfants. Au fond d'eux-mêmes, ces derniers refusaient cette approche. Toutefois, on a réussi à créer des robots dès lors qu'on leur avait inculqué que ne pas bien apprendre la langue du Saint Coran c'est aller en enfer. Et vous avez le résultat de cette approche avec la décennie noire », a-t-il soutenu. A la question de savoir s'il partageait l'analyse selon laquelle seuls les Berbères d'Afrique du Nord ont accepté l'Islam avec sa langue alors que les Turcs, les Perses, les Indonésiens et d'autres peuples ont gardé leurs langues, le conférencier a estimé qu'il serait très intéressant d'organiser une conférence sur ce sujet. « Vous venez de mettre le doigt sur une véritable problématique. Des pays arabes au sens ethnique comme le Qatar et l'Arabie saoudite ont décidé d'encourager l'anglais au détriment de l'arabe, non seulement parce que c'est la langue de la technologie, mais aussi pour son ancrage dans la société. Je puis vous assurer aussi que dans ces pays, on n'y parlent nullement l'arabe classique dans les foyers », a-t-il répondu à un intervenant. Pour lui, « il est impératif que l'Algérie accepte de s'approprier la langue française qui fait partie du patrimoine culturel, pour un règlement définitif et effectif du problème de l'enseignement de la langue ». « Il est irresponsable et inconscient de dévaloriser une langue par rapport à une autre, car toutes les langues sont dignes de respect », a-t-il martelé. Benghebrit mérite le soutien L'auteur a apporté son soutien à la ministre actuelle de l'Education nationale. « Elle a le mérite de savoir ce qu'elle fait pour le bien de notre école et des générations futures ». « Elle a surtout le mérite d'être à l'écoute de toutes les propositions émanant des pédagogues, des syndicats et même des retraités », a-t-il ajouté. Ahmed Tessa a fait remarquer, par ailleurs, « qu'un système scolaire c'est comme les piliers d'une maison. Quand on ébranle l'un d'eux, la maison risque de s'écrouler. En touchant à l'enseignement du français, toutes les autres disciplines ont reçu un choc. Aujourd'hui, on se retrouve avec des analphabètes en français et en arabe », a-t-il regretté. Sur la transcription de tamazight Enfin, à une question relative à la transcription de tamazight pour laquelle le HCA semble avoir tranché pour les caractères latins, l'invité de l'association des amis des scouts et anciens scouts n'a pas trouvé tranchante la réponse du HCA. « D'un côté, celui-ci soutient qu'il faut transcrire en latin et de l'autre il laisse le soin à la future académie de trancher », a-t-il fait remarquer. « Je dirai qu'il n'y a qu'à voir toutes les productions écrites traitant de tamazight pour choisir les caractères de sa transcription ». Et pour conclure au sujet de la langue française, Ahmed Tessa se veut optimiste quant à son avenir. « Même dans les régions les plus reculées du pays, où cette langue a été longtemps interdite, voire bannie, elle reste encore vivace. De nombreux auteurs algériens écrivant dans la langue sont même issus de ces régions », s'est il félicité.