Mohammed Ghafir, alias Moh Clichy, a été invité avant-hier par la librairie Chaib Dzaïr, à Alger, pour apporter son témoignage et dédicacer son livre Droit d'évocation et de souvenance sur le 17 octobre 1961 à Paris. Longtemps occultés de la mémoire collective française, et peu connus par les Algériens, les massacres du 17 octobre 1961 sont indissociables de l'Histoire de la guerre de Libération nationale. Des événements qui feront dire à tort au célèbre général vietnamien Giap : «C'est la première fois dans l'histoire des peuples qui luttent pour leur indépendance que le colonisé porte la guerre sur le sol du colonisateur.» «Même les Français confondent le 17 octobre 1961 avec les assassinées du métro de Charonne du 8 février 1962. Une amputation envers une date qui, pourtant, fut marquée par la plus violente répression jamais provoquée par une manifestation pacifique de rue en Europe occidentale et dans son histoire contemporaine», dira Sid Ali Sekhri, modérateur des rencontres littéraires de la librairie Chaib Dzaïr (Anep) où s'est tenue la rencontre. Nombreux sont les livres d'histoire qui évoquent à travers leurs pages les massacres du 17 octobre, mais aucun d'eux n'a cité aussi bravement, lucidement et exhaustivement ce massacre que le livre de Moh Clichy (son nom de guerre auquel il tient énormément). En effet, à travers les 600 pages de Droit d'évocation et de souvenance sur le 17 octobre 1961 à Paris, qui en est à sa quatrième édition, on trouve là une encyclopédie sur ces massacres qui ont eu lieu à Paris. Le militantisme, l'engagement pour la cause nationale en général et dans cette fameuse «bataille de Paris» (comme dirait Jean Luc Einaudi dans son livre La Bataille de Paris», dédié aux massacres du 17 octobre, paru en 1990 aux éditions du Seuil, ont permis à Moh Clichy d'apporter un plus inestimable dans l'écriture de l'histoire de la guerre de Libération nationale. «On n'écrit pas seulement pour raconter mais aussi pour témoigner», selon le philosophe grec Quintilien que reprendra Sekhri. Il est utile de souligner que Clichy n'est pas un historien, mais un acteur et témoin vivant de ces massacres. Dans cette rencontre de l'Anep et en présence de nombreux témoins des massacres du 17 octobre, Moh Clichy évoquera les origines du 17 octobre 1961, son organisation, son déroulement, le résultat et l'impact qu'il a engendrés. «Papon le sanguinaire» «Suite au couvre-feu discriminatoire instauré par le préfet de police Maurice Papon à Paris, interdisant ainsi aux Algériens de circuler de 20h30 à 5h30, le FLN (Front de libération nationale) devait réagir. Il décide alors d'organiser des manifestations pacifiques qui touchaient les 300 000 Algériens qui vivaient en France, à cette époque. La moitié d'entre eux étaient cotisants à la fédération de FLN de France, banque du FLN, selon Sekhri. Le11 octobre 1961, nous sont parvenues les directives de nos responsables en Allemagne. Avec l'accord du GPRA (dont Lakhdar Bentobal était chargé de faire la liaison entre les deux), la manifestation n'a eu lieu qu'à Paris et dans les banlieues qui l'entouraient. Il faut préciser que c'est en ces endroits où le couvre-feu a été décrété que le FLN a organisé ces manifestations. La Fédération de France du FLN a interdit à tous les manifestants de ramener avec eux ne serait-ce qu'un trombone, car ça devait être des manifestations strictement pacifiques». Ces dernières se sont déroulées en trois jours. «Le 17 octobre tout le monde sortait, le 18, les commerçants devait fermer, le 19 c'étaient toutes les femmes qui devaient sortir. 15 000 arrestations ont eu lieu cette nuit-là. Sans parler des massacres sanguinaires et des dizaines ou centaines de manifestants jetés dans la Seine… alors que la police française de cette époque ne parlait que de deux morts !» Poursuit Clichy. Une documentation précieuse La riche documentation du livre de Clichy est indéniable (la déclaration des 121, la lettre de J-P Sartre sur les porteurs de valises), le poème de Kateb Yacine adressé aux Français, les directives du préfet de police Papon, les citations des chefs du FLN, des photos, noms de lieux, de personnes…). Ce militant ne manque par toutefois de parler des années terribles qu'il a vécues. «C'étaient les pires épreuves de ma vie. Je m'abstiens toutefois de m'étaler sur tous les détails.» Clichy ne manquera pas non plus de rendre hommage «à ces Français qui ont été aux côtés des Algériens dans ces moments durs de l'année 1961», dit-il. Moh Clichy a également tenu à parler des femmes. «Sans la participation de ces dernières, on n'aurait pas eu l'indépendance», a-t-il noté. «Parmi ces femmes courageuses, nous citons Fatima Beddar (lycéenne de quinze ans). Elle a été arrêtée par la police, malmenée puis jetée dans le canal de Saint Denis. Ses parents, inquiets de ne pas la voir rentrer à la maison, avertissent la police qui, quelques jours après, leur révèle avoir trouvé 45 corps dans ce canal et que leur fille qui s'était ‘suicidée' se trouvait parmi eux. Arrivé à l'hôpital de Saint Denis où les cadavres en décomposition avancée étaient mis dans des sacs, le père de Fatima a éclaté en larmes quand il a reconnu la tresse de sa fille, morte en moudjahida héroïque pour la cause nationale». «Un chapitre entier est dédié à la fille. Je raconte même comment 45 ans après sa mort, on a transféré ce qui restait de son corps à Tichy (Béjaïa) pour l'enterrer dignement.»